l'officier
avec le meme ton.
-- Voyons, monsieur d'Artagnan, continua Louis avec une agitation
febrile, est-ce que vous ne serez pas aussi patient que moi? est-
ce que vous ne ferez pas ce que je fais? voyons.
-- Et que faites-vous, Sire?
-- J'attends.
-- Votre Majeste le peut, parce qu'elle est jeune; mais moi, Sire,
je n'ai pas le temps d'attendre: la vieillesse est a ma porte, et
la mort la suit, regardant jusqu'au fond de ma maison. Votre
Majeste commence la vie; elle est pleine d'esperance et de fortune
a venir; mais moi, Sire, moi, je suis a l'autre bout de l'horizon,
et nous nous trouvons si loin l'un de l'autre, que je n'aurais
jamais le temps d'attendre que Votre Majeste vint jusqu'a moi.
Louis fit un tour dans la chambre, toujours essuyant cette sueur
qui eut bien effraye les medecins, si les medecins eussent pu voir
le roi dans un pareil etat.
-- C'est bien, monsieur, dit alors Louis XIV d'une voix breve;
vous desirez votre retraite? vous l'aurez. Vous m'offrez votre
demission du grade de lieutenant de mousquetaires?
-- Je la depose bien humblement aux pieds de Votre Majeste, Sire.
-- Il suffit. Je ferai ordonnancer votre pension.
-- J'en aurai mille obligations a Votre Majeste.
-- Monsieur, dit encore le roi en faisant un evident effort sur
lui-meme, je crois que vous perdez un bon maitre.
-- Et moi, j'en suis sur, Sire.
-- En retrouverez-vous jamais un pareil?
-- Oh! Sire je sais bien que Votre Majeste est unique dans le
monde; aussi ne prendrai-je desormais plus de service chez aucun
roi de la terre, et n'aurai plus d'autre maitre que moi.
-- Vous le dites?
-- Je le jure a Votre Majeste.
-- Je retiens cette parole, monsieur.
D'Artagnan s'inclina.
-- Et vous savez que j'ai bonne memoire, continua le roi.
-- Oui, Sire, et cependant je desire que cette memoire fasse
defaut a cette heure a Votre Majeste, afin qu'elle oublie les
miseres que j'ai ete force d'etaler a ses yeux. Sa Majeste est
tellement au-dessus des pauvres et des petits, que j'espere...
-- Ma Majeste, monsieur, fera comme le soleil, qui voit tout,
grands et petits, riches et miserables, donnant le lustre aux uns,
la chaleur aux autres, a tous la vie. Adieu, monsieur d'Artagnan,
adieu, vous etes libre.
Et le roi, avec un rauque sanglot qui se perdit dans sa gorge,
passa rapidement dans la chambre voisine.
D'Artagnan reprit son chapeau sur la table ou il l'avait jete, et
sortit.
Chapitre XV
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