aires qui approchait la personne du roi, se mirent a
travailler avec un enthousiasme qui tenait du delire, et a servir
les pratiques avec une precipitation dedaigneuse que plus d'un
remarqua.
Planchet encaissait l'argent et faisait ses comptes entrecoupes de
politesses a l'adresse de son ancien maitre.
Planchet avait avec ses clients la parole breve et la familiarite
hautaine du marchand riche, qui sert tout le monde et n'attend
personne. D'Artagnan observa cette nuance avec un plaisir que nous
analyserons plus tard. Il vit peu a peu la nuit venir; et enfin,
Planchet le conduisit dans une chambre du premier etage, ou, parmi
les ballots et les caisses, une table fort proprement servie
attendait deux convives.
D'Artagnan profita d'un moment de repit pour considerer la figure
de Planchet, qu'il n'avait pas vu depuis un an.
L'intelligent Planchet avait pris du ventre, mais son visage
n'etait pas boursoufle. Son regard brillant jouait encore avec
facilite dans ses orbites profondes, et la graisse, qui nivelle
toutes les saillies caracteristiques du visage humain, n'avait
encore touche ni a ses pommettes saillantes, indice de ruse et de
cupidite, ni a son menton aigu, indice de finesse et de
perseverance. Planchet tronait avec autant de majeste dans sa
salle a manger que dans sa boutique. Il offrit a son maitre un
repas frugal, mais tout parisien: le roti cuit au four du
boulanger, avec les legumes, la salade, et le dessert emprunte a
la boutique meme. D'Artagnan trouva bon que l'epicier eut tire de
derriere les fagots une bouteille de ce vin d'Anjou qui, durant
toute la vie de d'Artagnan, avait ete son vin de predilection.
-- Autrefois, monsieur, dit Planchet avec un sourire plein de
bonhomie, c'etait moi qui vous buvais votre vin; maintenant, j'ai
le bonheur que vous buviez le mien.
-- Et Dieu merci! ami Planchet, je le boirai encore longtemps,
j'espere, car a present me voila libre.
-- Libre! Vous avez conge, monsieur?
-- Illimite!
-- Vous quittez le service? dit Planchet stupefait.
-- Oui, je me repose.
-- Et le roi? s'ecria Planchet, qui ne pouvait supposer que le roi
put se passer des services d'un homme tel que d'Artagnan.
-- Et le roi cherchera fortune ailleurs... Mais nous avons bien
soupe, tu es en veine de saillies, tu m'excites a te faire des
confidences, ouvre donc tes oreilles.
-- J'ouvre.
Et Planchet, avec un rire plus franc que malin, decoiffa une
bouteille de vin blanc.
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