-- C'est vrai, j'avais conseil d'officiers.
-- Milord decide-t-il quelque chose a l'egard de ce gentilhomme?
-- Oui, qu'il soit amene ici.
-- Faut-il prendre des precautions?
-- Lesquelles?
-- Lui bander les yeux, par exemple.
-- A quoi bon? Il ne verra que ce que je desire qu'on voie, c'est-
a-dire que j'ai autour de moi onze mille braves qui ne demandent
pas mieux que de se couper la gorge en l'honneur du Parlement de
l'Ecosse et de l'Angleterre.
-- Et cet homme, milord? dit Spithead en montrant le pecheur, qui
pendant cette conversation etait reste debout et immobile, en
homme qui voit mais ne comprend pas.
-- Ah! c'est vrai, dit Monck.
Puis, se retournant vers le marchand de poisson:
-- Au revoir, mon brave homme, dit-il; je t'ai choisi un gite.
Digby, emmenez-le. Ne crains rien, on t'enverra ton argent tout a
l'heure.
-- Merci, milord, dit le pecheur.
Et, apres avoir salue, il partit accompagne de Digby. A cent pas
de la tente, il retrouva ses compagnons, lesquels chuchotaient
avec une volubilite qui ne paraissait pas exempte d'inquietude,
mais il leur fit un signe qui parut les rassurer.
-- Hola! vous autres, dit le patron, venez par ici; Sa Seigneurie
le general Monck a la generosite de nous payer notre poisson et la
bonte de nous donner l'hospitalite pour cette nuit.
Les pecheurs se reunirent a leur chef, et, conduite par Digby, la
petite troupe s'achemina vers les cantines, poste qui, on se le
rappelle, lui avait ete assigne.
Tout en cheminant, les pecheurs passerent dans l'ombre pres de la
garde qui conduisait le gentilhomme francais au general Monck. Ce
gentilhomme etait a cheval et enveloppe d'un grand manteau, ce qui
fit que le patron ne put le voir, quelle que parut etre sa
curiosite. Quant au gentilhomme, ignorant qu'il coudoyait des
compatriotes, il ne fit pas meme attention a cette petite troupe.
L'aide de camp installa ses hotes dans une tente assez propre d'ou
fut delogee une cantiniere irlandaise qui s'en alla coucher ou
elle put avec ses six enfants. Un grand feu brulait en avant de
cette tente et projetait sa lumiere pourpree sur les flaques
herbeuses du marais que ridait une brise assez fraiche. Puis
l'installation faite, l'aide de camp souhaita le bonsoir aux
matelots en leur faisant observer que l'on voyait du seuil de la
tente les mats de la barque qui se balancait sur la Tweed, preuve
qu'elle n'avait pas encore coule a fond. Cette vue parut rejouir
infinime
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