mauvaise humeur; ce soir et demain ils seront
impitoyables. Il serait de bon gout, croyez-moi, de renvoyer a
M. Lambert ses poissons et ses pecheurs, a moins que...
Le general reflechit un instant.
-- Dites-moi, continua-t-il, quels sont ces pecheurs, s'il vous
plait?
-- Des marins picards qui pechaient sur les cotes de France ou de
Hollande, et qui ont ete jetes sur les notres par un grand vent.
-- Quelques-uns d'entre eux parlent-ils notre langue?
-- Le chef nous a dit quelques mots d'anglais.
La defiance du general s'etait eveillee au fur et a mesure que les
renseignements lui venaient.
-- C'est bien, dit-il. Je desire voir ces hommes, amenez-les-moi.
Un officier se detacha aussitot pour aller les chercher.
-- Combien sont-ils? continua Monck, et quel bateau montent-ils?
-- Ils sont dix ou douze, mon general, et ils montent une espece
de chasse-maree, comme ils appellent cela, de construction
hollandaise, a ce qu'il nous a semble.
-- Et vous dites qu'ils portaient du poisson au camp de
M. Lambert?
-- Oui, general. Il parait meme qu'ils ont fait une assez bonne
peche.
-- Bien, nous allons voir cela, dit Monck. En effet, au moment
meme l'officier revenait, amenant le chef de ces pecheurs, homme
de cinquante a cinquante-cinq ans a peu pres, mais de bonne mine.
Il etait de moyenne taille et portait un justaucorps de grosse
laine, un bonnet enfonce jusqu'aux yeux; un coutelas etait passe a
sa ceinture, et il marchait avec cette hesitation toute
particuliere aux marins, qui, ne sachant jamais, grace au
mouvement du bateau, si leur pied posera sur la planche ou dans le
vide, donnent a chacun de leurs pas une assiette aussi sure que
s'il s'agissait de poser un pilotis. Monck, avec un regard fin et
penetrant, considera longtemps le pecheur, qui lui souriait de ce
sourire moitie narquois, moitie niais, particulier a nos paysans.
-- Tu parles anglais? lui demanda Monck en excellent francais.
-- Ah! bien mal, milord, repondit le pecheur.
Cette reponse fut faite bien plutot avec l'accentuation vive et
saccadee des gens d'outre-Loire qu'avec l'accent un peu trainard
des contrees de l'ouest et du nord de la France.
-- Mais enfin tu le parles, insista Monck, pour etudier encore une
fois cet accent.
-- Eh! nous autres gens de mer, repondit le pecheur, nous parlons
un peu toutes les langues.
-- Alors, tu es matelot pecheur?
-- Pour aujourd'hui, milord, pecheur, et fameux pecheur meme. J'
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