e qui se
manifesta par l'agitation de son geste.
-- Eh bien! donc, parlez, dit-il; car je suis impatient d'entendre
les verites que vous avez a me dire.
L'officier jeta son chapeau sur une table, et sa figure, deja si
intelligente et si martiale, prit tout a coup un etrange caractere
de grandeur et de solennite.
-- Sire, dit-il, je quitte le service du roi parce que je suis
mecontent. Le valet, en ce temps-ci, peut s'approcher
respectueusement de son maitre comme je le fais, lui donner
l'emploi de son travail, lui rapporter les outils, lui rendre
compte des fonds qui lui ont ete confies, et dire: "Maitre, ma
journee est faite, payez-moi, je vous prie, et separons-nous."
-- Monsieur, monsieur! s'ecria le roi, pourpre de colere.
-- Ah! Sire, repondit l'officier en flechissant un moment le
genou, jamais serviteur ne fut plus respectueux que je ne le suis
devant Votre Majeste; seulement, vous m'avez ordonne de dire la
verite. Or, maintenant que j'ai commence de la dire, il faut
qu'elle eclate, meme si vous me commandiez de la taire.
Il y avait une telle resolution exprimee dans les muscles fronces
du visage de l'officier, que Louis XIV n'eut pas besoin de lui
dire de continuer; il continua donc, tandis que le roi le
regardait avec une curiosite melee d'admiration.
-- Sire, voici bientot trente-cinq ans, comme je le disais, que je
sers la maison de France; peu de gens ont use autant d'epees que
moi a ce service, et les epees dont je parle etaient de bonnes
epees, Sire. J'etais enfant, j'etais ignorant de toutes choses
excepte du courage, quand le roi votre pere devina en moi un
homme. J'etais un homme, Sire, lorsque le cardinal de Richelieu,
qui s'y connaissait, devina en moi un ennemi. Sire, l'histoire de
cette inimitie de la fourmi et du lion, vous l'eussiez pu lire
depuis la premiere jusqu'a la derniere ligne dans les archives
secretes de votre famille. Si jamais l'envie vous en prend, Sire,
faites-le; cette histoire en vaut la peine, c'est moi qui vous le
dis. Vous y lirez que le lion, fatigue, lasse, haletant, demanda
enfin grace, et, il faut lui rendre cette justice, qu'il fit grace
aussi. Oh! ce fut un beau temps, Sire, seme de batailles, comme
une epopee du Tasse ou de l'Arioste! Les merveilles de ce temps-
la, auxquelles le notre refuserait de croire, furent pour nous
tous des banalites. Pendant cinq ans, je fus un heros tous les
jours, a ce que m'ont dit du moins quelques personnages de merite;
et
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