esse de Chailly, et peu a peu Arsene se ferait ecouter. Tels
etaient les reves qu'elle nourrissait encore. Le plus presse etait
d'eloigner Louison et Suzanne, dont la societe commencait a nous peser
beaucoup a nous-memes, un instant de colere et de folie de leur part
detruisant tout l'effet de nos jours de patience et de menagements.
Ce fut Louison qui mit un terme a nos perplexites par un changement
subit et imprevu.
Des le lendemain, a l'aube naissante, elle alla chuchoter aupres du lit
de sa soeur, si bas que Marthe, qui sommeillait a peine, et qui pensa
qu'elles tramaient contre elle quelque noirceur, ne put rien entendre de
ce qu'elles se confiaient. Mais tout a coup elle vit Louison s'approcher
de son lit, se mettre a genoux, et lui dire en joignant les mains:
"Marthe, nous vous avons offensee, pardonnez-nous. Tout le tort vient de
moi. J'ai une mauvaise tete, Marton; mais au fond, je vous plains, et
je veux me corriger. Viens, Suzon, viens, ma soeur; aide-moi a oter a
Marthe le chagrin que je lui ai fait."
Suzanne s'approcha, mais avec une repugnance que Marthe attribua a
un eloignement prononce pour elle. Marthe etait bonne et genereuse;
l'humilite de Louison la toucha si vivement, qu'elle lui jeta ses bras
autour du cou, et lui pardonna de toute son ame, n'ayant plus le courage
de l'affliger en suivant son projet de la veille, et ne sachant plus
quel pretexte donner a la separation dont, a cause d'Horace, elle
eprouvait si vivement le besoin.
Nous fumes tous fort emus du repentir de Louison, et nous passames cette
journee dans des effusions de coeur qui parurent soulager Marthe d'une
partie de sa tristesse.
Le soir, Eugenie, pour eviter de recevoir la visite d'Horace, qui
s'etait annonce pour cette heure-la, nous proposa de faire un tour de
promenade. Marthe accepta avec empressement, et nous etions deja tous
sur l'escalier, lorsque Louison dit qu'elle ne se sentait pas bien, et
nous pria de la laisser a la maison.
--Je me coucherai de bonne heure, disait-elle, et demain je ne m'en
ressentirai plus; je connais cela, c'est ma migraine.
Elle resta donc, et, au lieu de se coucher, elle passa sur le balcon. Ce
n'etait pas sans dessein. Horace, qui venait pour nous voir, et a qui le
portier assurait que nous etions tous sortis, leva la tete, et vit une
femme sur le balcon. Comme il etait un peu myope, il s'imagina que ce
devait etre Marthe. L'idee lui vint de se venger par quelque cruel
persiflage de
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