?
LE PRINCE. Non. Ce vieux vin est ami du vieux sang. Je me trouve
vraiment mieux.
LE PRECEPTEUR. C'est un long et penible voyage que votre altesse vient
de faire... et avec une rapidite....
LE PRINCE. A quatre-vingts ans passes, c'est en effet fort penible. Il
fut un temps ou cela ne m'eut guere embarrasse. Je traversais l'Italie
d'un bout a l'autre pour la moindre affaire, pour une amourette, pour
une fantaisie; et maintenant il me faut des raisons d'une bien haute
importance pour entreprendre, en litiere, la moitie du trajet que je
faisais alors a cheval.... Il y a dix ans que je suis venu ici pour la
derniere fois, n'est-ce pas, Marc?
MARC, _tres-intimide_. Oh! oui, monseigneur.
LE PRINCE. Tu etais encore vert alors! Au fait, tu n'as guere que
soixante ans. Tu es encore jeune, toi!
MARC. Oui, monseigneur.
LE PRINCE, _se retournant vers le precepteur_. Toujours aussi bete, a ce
qu'il parait? (_Haut_.) Maintenant laisse-nous, mon bon Marc, laisse ici
ce flacon.
MARC. Oh! oui, monseigneur. (_Il hesite a sortir_.)
LE PRINCE, _avec une bonte affectee_. Va, mon ami....
MARC. Monseigneur... est-ce que je n'avertirai pas le seigneur Gabriel
de l'arrivee de votre altesse?
LE PRINCE, _avec emportement_. Ne vous l'ai-je pas positivement defendu?
LE PRECEPTEUR. Vous savez bien que son altesse veut surprendre
monseigneur Gabriel.
LE PRINCE. Vous seul ici m'avez vu arriver. Mes gens sont incapables
d'une indiscretion. S'il y a une indiscretion commise, je vous en rends
responsable.
(_Marc sort tout tremblant_.)
SCENE II. LE PRINCE, LE PRECEPTEUR.
LE PRINCE. C'est un homme sur, n'est-ce pas?
LE PRECEPTEUR. Comme moi-meme, monseigneur.
LE PRINCE. Et... il est le seul, apres vous et la nourrice de Gabriel,
qui ait jamais su....
LE PRECEPTEUR. Lui, la nourrice et moi, nous sommes les seules personnes
au monde, apres votre altesse, qui ayons aujourd'hui connaissance de cet
important secret.
LE PRINCE Important! Oui, vous avez raison; terrible, effrayant secret,
et dont mon ame est quelquefois tourmentee comme d'un remords. Et
dites-moi, monsieur l'abbe, jamais aucune indiscretion....
LE PRECEPTEUR. Pas la moindre, monseigneur.
LE PRINCE. Et jamais aucun doute ne s'est eleve dans l'esprit des
personnes qui le voient journellement?
LE PRECEPTEUR. Jamais aucun, monseigneur.
LE PRINCE. Ainsi, vous n'avez pas flatte ma fantaisie dans vos lettres?
Tout cela est l'exacte verite?
L
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