est insaisissable comme la nature de son esprit... Pouvais-je donc etre
un magicien plus savant que la nature, et detruire l'oeuvre divine
dans un cerveau humain? Je l'eusse pu peut-etre par le mensonge et la
corruption; mais cet enfant l'a dit, j'etais trop honnete pour remplir
dignement la tache difficile dont j'etais charge. Je n'ai pu lui cacher
la veritable moralite des faits, et ce qui devait servir a fausser son
jugement n'a servi qu'a le diriger...
_(Il ecoute les voix qui se font entendre dans le cabinet.)_
On parle haut... la voix du vieillard est apre et seche, celle de
l'enfant tremblante de colere... Quoi! il ose braver celui que nul n'a
brave impunement! O Dieu! fais qu'il ne devienne pas un objet de haine
pour cet homme impitoyable!
_(Il ecoute encore.)_
Le vieillard menace, l'enfant resiste... Cet enfant est noble et
genereux; oui, c'est une belle ame, et il aurait fallu la corrompre et
l'avilir, car le besoin de justice et de sincerite sera son supplice
dans la situation impossible ou on le jette. Helas! ambition, tourment
des princes, quels infames conseils ne leur donnes-tu pas, et quelles
consolations ne peux-tu pas leur donner aussi!... Oui, l'ambition, la
vanite, peuvent l'emporter dans l'ame de Gabriel, et le fortifier contre
le desespoir...
_(Il ecoute.)_
Le prince parle avec vehemence... Il vient par ici... Affronterai-je sa
colere?... Oui, pour en preserver Gabriel... Faites, o Dieu, qu'elle
retombe sur moi seul... L'orage semble se calmer; c'est maintenant
Gabriel qui parle avec assurance... Gabriel! etrange et malheureuse
creature, unique sur la terre!... mon ouvrage, c'est-a-dire mon orgueil
et mon remords!... mon supplice aussi! O Dieu! vous seul savez quels
tourments j'endure depuis deux ans... Vieillard insense! toi qui n'as
jamais senti battre ton coeur que pour la vile chimere de la fausse
gloire, tu n'as pas soupconne ce que je pouvais souffrir, moi! Dieu,
vous m'avez donne une grande force, je vous remercie de ce que mon
epreuve est finie. Me punirez-vous pour l'avoir acceptee? Non! car a ma
place un autre peut-etre en eut odieusement abuse... et j'ai du moins
preserve tant que je l'ai pu l'etre que je ne pouvais pas sauver.
SCENE V.
LE PRINCE, GABRIEL, LE PRECEPTEUR.
GABRIEL, _avec exasperation_.
Laissez-moi, j'en ai assez entendu; pas un mot de plus, ou j'attente a
ma vie. Oui, c'est le chatiment que je devrais vous infliger pour ruiner
les folles esperance
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