ta beaute! Jeune homme, tu aimais les riches
habits, et tu donnais a nos modes fantasques une grace et une poesie
qu'aucun de nous ne pouvait imiter. L'amour du beau, le sentiment de
l'elegance est une des conditions de ta vie, Gabrielle: tu etoufferais
sous le pesant vertugadin et sous le collet empese de dame Barbe. Les
travaux du menage gateraient tes belles mains, dont le contact sur mon
front enleve tous les soucis et dissipe tous les nuages. D'ailleurs
que ferais-tu de tes nobles pensees et des poetiques elans de ton
intelligence au milieu des details abrutissants et des previsions
egoistes d'une etroite parcimonie? Ces pauvres femmes les vantent par
amour-propre, et vingt fois le jour elles laissent percer le degout et
l'ennui dont elles sont abreuvees. Quant a renfermer tes sentiments
genereux et a te soumettre aux arrets de l'intolerance, tu
l'entreprendrais en vain. Jamais ton coeur ne pourra se refroidir,
jamais tu ne pourras abandonner le culte austere de la verite; et malgre
toi les eclairs d'une courageuse indignation viendraient briller au
milieu des tenebres que le fanatisme voudrait etendre sur ton ame. Si
d'ailleurs toutes ces epreuves ne sont pas au-dessus de tes forces,
je sens, moi, qu'elles depassent les miennes; je ne pourrais te voir
opprimee sans me revolter ouvertement. Tu as bien assez souffert deja,
tu t'es bien assez immolee pour moi.
GABRIELLE.
Je n'ai pas souffert, je n'ai rien immole; j'ai eu confiance en toi,
voila tout. Tu sais bien que je n'etais pas assez faible d'esprit pour
ne pas accepter les petites souffrances que ces nouvelles habitudes
dont tu parles pouvaient me causer dans les premiers jours; j'avais des
repugnances mieux motivees, des craintes plus graves. Tu les as toutes
dissipees; je ne suis pas descendue comme femme au-dessous du rang ou,
comme homme, ton amitie m'avait placee. Je n'ai pas cesse d'etre ton
frere et ton ami en devenant ta compagne et ton amante; ne m'as-tu pas
fait des concessions, toi aussi? n'as-tu pas change ta vie pour moi?
ASTOLPHE.
Oh! loue-moi de mes sacrifices! J'ai quitte le desordre dont j'etais
harasse, et la debauche qui de plus en plus me faisait horreur, pour un
amour sublime, pour des joies ideales! Et loue-moi aussi pour le respect
et la veneration que je te porte! J'avais en toi le meilleur des amis;
un soir Dieu fit un miracle et te changea en une maitresse adorable: je
ne t'en aimai que mieux. N'est-ce pas bien charitable et bi
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