ect de ma vie, qui est devenu notre
tourment mutuel. Mais, s'il le fallait pour te satisfaire, hesiterais-je
un moment? Oh! tu ne le crains pas, Astolphe, et tu n'agirais pas en
secret pour me forcer a des actes que ton simple desir peut m'imposer
librement! Toi, me tendre un piege! toi, trainer des complots contre
moi! Oh! non, non, jamais!... Le voici qui revient de la promenade; je
ne lui en parlerai meme pas, tant j'ai peu besoin d'etre rassuree sur
son desinteressement et sur sa franchise.
SCENE IV.
ASTOLPHE, GABRIELLE.
ASTOLPHE.
Eh bien, ma bonne Gabrielle, ton vieux serviteur est revenu. Je viens de
voir son cheval dans la cour. Quelles nouvelles t'a-t-il apportees de
Bramante?
GABRIELLE.
Selon lui, notre grand-pere se meurt; mais, selon moi, il en a pour
longtemps encore. Ce n'est point un homme a mourir si aisement. Mais
desirons-nous donc sa mort? Quels que soient ses torts envers nous
deux (et je crois bien que les plus graves ont ete envers celui qu'il
semblait favoriser au detriment de l'autre), nous ne haterons point par
des voeux impies l'instant supreme ou il lui faudra rendre un compte
severe de la destinee de ses enfants. Puisse-t-il trouver la-haut un
juge aussi indulgent que nous, n'est-ce pas, Astolphe? Tu ne m'ecoutes
pas?
ASTOLPHE.
Il est vrai; tu deviens chaque jour plus philosophe, Gabrielle; tu
argumentes du soir au matin comme un academicien de la Crusca. Ne
saurais-tu etre femme, du moins pendant trois mois de l'annee?
GABRIELLE, _souriant_.
C'est qu'il y a bien longtemps que ces trois mois-la sont passes,
Astolphe. Le premier trimestre eut bien trois mois, mais le second en
eut six, et l'an prochain je crains que, malgre nos conventions, le
trimestre n'envahisse toute l'annee. Donne-moi le temps de m'habituer a
etre aussi femme qu'il me faut l'etre a present pour te plaire. Jadis tu
n'etais pas si difficile avec moi, et je n'ai pas songe assez tot a me
defaire de mon langage d'ecolier. Tu aurais du m'avertir, des le premier
jour ou tu m'as aimee, qu'un temps viendrait ou il serait necessaire de
me transformer pour conserver ton amour!
ASTOLPHE.
Ce reproche est injuste, Gabrielle! Mais quand il serait vrai, ne me
suis-je pas transforme, moi, pour meriter et conserver l'affection de
ton coeur?
GABRIELLE.
Il est vrai, mon cher ange, et je ne demande pas mieux que d'avoir tort.
J'essaierai de me corriger. ASTOLPHE _marche d'un air soucieux, puis
s'arrete et
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