voulut t'embrasser a ce souper chez Ludovic; et, si je n'etais
retenu par la crainte de me trahir et de te perdre avec moi, je le
souffletterais.
GABRIELLE.
Comment peux-tu te laisser emouvoir ainsi, quand tu sais que ces
familiarites me deplaisent plus qu'a toi-meme, et que je les reprimerais
d'une maniere tout aussi masculine si elles depassaient les bornes de la
plus stricte chastete?
ASTOLPHE.
Je le sais et n'en souffre pas moins! et quelquefois je t'accuse
d'imprudence; je m'imagine que, pour te venger de mes injustices, tu te
fais un jeu de mes tourments; je t'outrage dans ma pensee... et c'est
beaucoup quand j'ai la force de ne pas te le laisser voir.
[Illustration: Le prince Jules de Bramante]
GABRIELLE.
Alors je vois que ta force est epuisee, que tu es pres d'eclater, de te
couvrir de honte et de ridicule, ou de devoiler ce dangereux secret; et
je me laisse ramener ici, ou tu m'aimes pourtant moins, car, dans la
tranquille possession d'un objet tant dispute, il semble que ton amour
s'engourdisse et s'eteigne comme une flamme sans aliment.
ASTOLPHE.
Je ne puis le nier, Dieu me punit alors d'avoir manque de foi. Je sens
bien que je ne t'aime pas moins: car, au moindre sujet d'inquietude,
mes fureurs se rallument; puis, dans le calme, je suis saisi meme a tes
cotes d'un affreux ennui. Tu me benis, et il me semble que tu me hais.
La nuit je te serre dans mes bras, et je reve que c'est un autre qui
te possede. Ah! ma bien-aimee, prends pitie de moi; je te confesse mon
desespoir, ne me meprise pas; ecarte de moi cette malediction, fais que
je t'aime comme tu veux etre aimee!
GABRIELLE.
Que ferons-nous donc? Le monde avec moi t'exaspere, la solitude aupres
de moi te consume. Veux-tu te distraire pendant quelques jours? veux-tu
aller a Florence sans moi?
ASTOLPHE.
Il me semble parfois que cela me fera du bien; mais je sais qu'a peine
j'y serai, les plus affreux songes viendront troubler mon sommeil. Le
jour je reussirai a porter saintement ton image dans mon ame, la nuit je
te verrai ici avec un rival.
GABRIELLE.
Quoi! tu me soupconnes a ce point? Enferme-moi dans quelque souterrain,
charge Marc de me passer mes aliments par un guichet, emporte les clefs,
fais murer la porte; peut-etre seras-tu tranquille?
ASTOLPHE.
Non! un homme passera, te regardera par le soupirail, et rien qu'a te
voir il sera plus heureux que moi qui ne te verrai pas.
GABRIELLE.
Tu vois bien que la j
|