ui rongent ses derniers jours. Quand on m'eut appris
toutes ces choses, quand on m'eut bien dit que, par droit de naissance,
je devais eternellement avoir mon pied sur votre tete, me rejouir de
votre abaissement et me glorifier de votre abjection, je fis seller mon
cheval, j'ordonnai a mon vieux serviteur de me suivre, et, prenant avec
moi les sommes que mon grand-pere avait destinees a mes voyages dans les
diverses cours ou il voulait m'envoyer apprendre le metier d'ambitieux,
je suis venu vous trouver afin de depenser cet argent avec vous en
voyages d'instruction ou en plaisirs de jeune homme, comme vous
l'entendrez. Je me suis dit que ma franchise vous convaincrait et
leverait tout vain scrupule de votre part; que vous comprendriez le
besoin que j'eprouve d'aimer et d'etre aime; que vous partageriez avec
moi en frere; qu'enfin vous ne me forceriez pas a me jeter dans la
vie des orgueilleux, en vous montrant orgueilleux vous-meme, et en
repoussant un coeur sincere qui vous cherche et vous implore.
ASTOLPHE, _l'embrassant avec effusion_.
Ma foi! tu es un noble enfant; il y a plus de fermete, de sagesse et de
droiture dans ta jeune tete qu'il n'y en a jamais eu dans toute notre
famille. Eh bien, je le veux: nous serons freres, et nous nous moquerons
des vieilles querelles de nos peres. Nous courrons le monde ensemble;
nous nous ferons de mutuelles concessions, afin d'etre toujours
d'accord: je me ferai un peu moins fou, tu te feras un peu moins sage.
Ton grand-pere ne peut pas te desheriter: tu le laisseras gronder, et
nous nous cherirons a sa barbe. Toute la vengeance que je veux tirer de
sa haine, c'est de t'aimer de toute mon ame.
GABRIEL, _lui serrant la main_.
Merci, Astolphe; vous m'otez un grand poids de la poitrine.
ASTOLPHE.
C'est donc pour me rencontrer que tu avais ete ce soir a la taverne?
GABRIEL.
On m'avait dit que vous etiez la tous les soirs.
ASTOLPHE.
Cher Gabriel! et tu as failli etre assassine dans ce tripot! et je
l'eusse ete, moi, peut-etre, sans ton secours! Ah! je ne t'exposerai
plus jamais a ces ignobles perils; je sens que pour toi j'aurai la
prudence que je n'avais pas pour moi-meme. Ma vie me semblera plus
precieuse unie a la tienne.
GABRIEL, _s'approchant de la grille de la fenetre_.
Tiens! le jour est leve: regarde, Astolphe, comme le soleil rougit les
flots en sortant de leur sein. Puisse notre amitie etre aussi pure,
aussi belle que le jour dont cette aurore est
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