e malade. Je crois seulement qu'un
homme ne doit jamais laisser voir a son ennemi qu'il a peur.
LE PRECEPTEUR. Il y a dans l'homme une disposition naturelle a
affronter le danger, et c'est ce qui le distingue de la femme
tres-particulierement.
GABRIEL. La femme! la femme, je ne sais a quel propos vous me parlez
toujours de la femme. Quant a moi, je ne sens pas que mon ame ait un
sexe, comme vous tachez souvent de me le demontrer. Je ne sens en moi
une faculte absolue pour quoi que ce soit: par exemple, je ne me sens
pas brave d'une maniere absolue, ni poltron non plus d'une maniere
absolue. Il y a des jours ou sous l'ardent soleil de midi, quand mon
front est en feu, quand mon cheval est enivre, comme moi, de la course,
je franchirais, seulement pour me divertir, les plus affreux precipices
de nos montagnes. Il est des soirs ou le bruit d'une croisee agitee par
la brise me fait frissonner, et ou je ne passerais pas sans lumiere le
seuil de la chapelle pour toutes les gloires du monde. Croyez-moi nous
sommes tous sous l'impression du moment, et l'homme qui se vanterait
devant moi de n'avoir jamais eu peur me semblerait un grand fanfaron,
de meme qu'une femme pourrait dire devant moi qu'elle a des jours de
courage sans que j'en fusse etonne. Quand je n'etais encore qu'un
enfant, je m'exposais souvent au danger plus volontiers qu'aujourd'hui:
c'est que je n'avais pas conscience du danger.
LE PRECEPTEUR. Mon cher Gabriel, vous etes tres-ergoteur aujourd'hui...
Mais laissons cela. J'ai a vous entretenir....
GABRIEL. Non, non! je veux achever mon ergotage et vous prendre par vos
propres arguments... Je sais bien pourquoi vous voulez detourner la
conversation....
LE PRECEPTEUR. Je ne vous comprends pas.
GABRIEL. Oui-da! vous souvenez-vous de ce ruisseau que vous ne vouliez
pas passer parce que le pont de branches entrelacees ne tenait presque
plus a rien? et moi j'etais au milieu, pourtant! Vous ne voulutes pas
quitter la rive, et a votre priere je revins sur mes pas. Vous aviez
donc peur?
LE PRECEPTEUR. Je ne me rappelle pas cela.
GABRIEL. Oh! que si!
LE PRECEPTEUR. J'avais peur pour vous, sans doute.
GABRIEL. Non, puisque j'etais deja a moitie passe. Il y avait autant de
danger pour moi a revenir qu'a continuer.
LE PRECEPTEUR. Et vous en voulez conclure....
GABRIEL. Que, puisque moi, enfant de dix ans, n'ayant pas conscience du
danger, j'etais plus temeraire que vous, homme sage et prevoyant, il
e
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