ec la legerete d'un oiseau.
Dix minutes apres, elle etait chez elle; comme elle l'avait dit a
la reine, elle n'avait pas revu son mari depuis sa mise en
liberte; elle ignorait donc le changement qui s'etait fait en lui
a l'endroit du cardinal, changement qu'avaient opere la flatterie
et l'argent de Son Eminence et qu'avaient corrobore, depuis, deux
ou trois visites du comte de Rochefort, devenu le meilleur ami de
Bonacieux, auquel il avait fait croire sans beaucoup de peine
qu'aucun sentiment coupable n'avait amene l'enlevement de sa
femme, mais que c'etait seulement une precaution politique.
Elle trouva M. Bonacieux seul: le pauvre homme remettait a grand-
peine de l'ordre dans la maison, dont il avait trouve les meubles
a peu pres brises et les armoires a peu pres vides, la justice
n'etant pas une des trois choses que le roi Salomon indique comme
ne laissant point de traces de leur passage. Quant a la servante,
elle s'etait enfuie lors de l'arrestation de son maitre. La
terreur avait gagne la pauvre fille au point qu'elle n'avait cesse
de marcher de Paris jusqu'en Bourgogne, son pays natal.
Le digne mercier avait, aussitot sa rentree dans sa maison, fait
part a sa femme de son heureux retour, et sa femme lui avait
repondu pour le feliciter et pour lui dire que le premier moment
qu'elle pourrait derober a ses devoirs serait consacre tout entier
a lui rendre visite.
Ce premier moment s'etait fait attendre cinq jours, ce qui, dans
toute autre circonstance, eut paru un peu bien long a maitre
Bonacieux; mais il avait, dans la visite qu'il avait faite au
cardinal et dans les visites que lui faisait Rochefort, ample
sujet a reflexion, et, comme on sait, rien ne fait passer le temps
comme de reflechir.
D'autant plus que les reflexions de Bonacieux etaient toutes
couleur de rose. Rochefort l'appelait son ami, son cher Bonacieux,
et ne cessait de lui dire que le cardinal faisait le plus grand
cas de lui. Le mercier se voyait deja sur le chemin des honneurs
et de la fortune.
De son cote, Mme Bonacieux avait reflechi, mais, il faut le dire,
a tout autre chose que l'ambition; malgre elle, ses pensees
avaient eu pour mobile constant ce beau jeune homme si brave et
qui paraissait si amoureux. Mariee a dix-huit ans a M. Bonacieux,
ayant toujours vecu au milieu des amis de son mari, peu
susceptibles d'inspirer un sentiment quelconque a une jeune femme
dont le coeur etait plus eleve que sa position, Mme Bonacieux
etait
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