vous donner.
-- A moi?
-- Oui, a vous. Il y a une bonne et sainte action a faire,
monsieur, et beaucoup d'argent a gagner en meme temps."
Mme Bonacieux savait qu'en parlant d'argent a son mari, elle le
prenait par son faible.
Mais un homme, fut-ce un mercier, lorsqu'il a cause dix minutes
avec le cardinal de Richelieu, n'est plus le meme homme.
"Beaucoup d'argent a gagner! dit Bonacieux en allongeant les
levres.
-- Oui, beaucoup.
-- Combien, a peu pres?
-- Mille pistoles peut-etre.
-- Ce que vous avez a me demander est donc bien grave?
-- Oui.
-- Que faut-il faire?
-- Vous partirez sur-le-champ, je vous remettrai un papier dont
vous ne vous dessaisirez sous aucun pretexte, et que vous
remettrez en main propre.
-- Et pour ou partirai-je?
-- Pour Londres.
-- Moi, pour Londres! Allons donc, vous raillez, je n'ai pas
affaire a Londres.
-- Mais d'autres ont besoin que vous y alliez.
-- Quels sont ces autres? Je vous avertis, je ne fais plus rien en
aveugle, et je veux savoir non seulement a quoi je m'expose, mais
encore pour qui je m'expose.
-- Une personne illustre vous envoie, une personne illustre vous
attend: la recompense depassera vos desirs, voila tout ce que je
puis vous promettre.
-- Des intrigues encore, toujours des intrigues! merci, je m'en
defie maintenant, et M. le cardinal m'a eclaire la-dessus.
-- Le cardinal! s'ecria Mme Bonacieux, vous avez vu le cardinal?
-- Il m'a fait appeler, repondit fierement le mercier.
-- Et vous vous etes rendu a son invitation, imprudent que vous
etes.
-- Je dois dire que je n'avais pas le choix de m'y rendre ou de ne
pas m'y rendre, car j'etais entre deux gardes. Il est vrai encore
de dire que, comme alors je ne connaissais pas Son Eminence, si
j'avais pu me dispenser de cette visite, j'en eusse ete fort
enchante.
-- Il vous a donc maltraite? il vous a donc fait des menaces?
-- Il m'a tendu la main et m'a appele son ami, -- son ami!
entendez-vous, madame? -- je suis l'ami du grand cardinal!
-- Du grand cardinal!
-- Lui contesteriez-vous ce titre, par hasard, madame?
-- Je ne lui conteste rien, mais je vous dis que la faveur d'un
ministre est ephemere, et qu'il faut etre fou pour s'attacher a un
ministre; il est des pouvoirs au-dessus du sien, qui ne reposent
pas sur le caprice d'un homme ou l'issue d'un evenement; c'est a
ces pouvoirs qu'il faut se rallier.
-- J'en suis fache, madame, mais je ne connais pas
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