recevoir et
chercher son entier developpement physique sans que l'intellect en
souffre. Oui, dans une societe ideale et rationnelle, cela serait ainsi
Mais, dans celle ou nous vivons et dont il faut, bien nous contenter,
la jouissance et l'abus ne vont-ils pas de compagnie, et peut-on les
separer, les limiter, a moins d'etre un sage de premiere volee? Et,
si l'on est un sage, adieu l'entrainement, qui est le pere des joies
reelles!
La question, pour nous artistes, est de savoir si l'abstinence
nous fortifie, ou si elle nous exalte trop, ce qui degenere en
faiblesse.--Vous me direz: "Il y a temps pour tout et puissance
suffisante pour toute depense de forces." Donc, vous faites une
distinction et vous posez des limites, il n'y a pas moyen de faire
autrement. La nature, croyez-vous, en pose d'elle-meme et nous empeche
d'abuser. Ah! mais non, elle n'est pas plus sage que nous, qui sommes
aussi la nature.
Nos exces de travail, comme, nos exces de plaisir, nous tuent
parfaitement, et plus nous sommes de grandes natures, plus nous
depassons les bornes et reculons la limite de nos puissances.
Non, je n'ai pas de theories. Je passe ma vie a poser des questions et
a les entendre resoudre dans un sens ou dans l'autre, sans qu'une
conclusion victorieuse et sans replique m'ait jamais ete donnee.
J'attends la lumiere d'un nouvel etat de mon intellect et de mes organes
dans une autre vie; car, dans celle-ci, quiconque reflechit embrasse
jusqu'a leurs dernieres consequences les limites du pour et du contre.
C'est M. Platon, je crois, qui demandait et croyait tenir le lien. Il ne
l'avait pas plus que nous. Pourtant ce lien existe, puisque l'univers
subsiste sans que le pour et le contre qui le constituent se detruisent
reciproquement. Comment s'appellera-t-il pour la nature materielle?
_equilibre_, il n'y a pas a dire; et pour la nature spirituelle?
_moderation_, chastete relative, abstinence des abus, tout ce que vous
voudrez, mais ca se traduira toujours par _equilibre_. Ai-je tort, mon
maitre?
Pensez-y, car, dans nos romans, ce que font ou ne font pas nos
personnages ne repose pas sur une autre question que celle-la.
Possederont-ils, ne possederont-ils pas l'objet de leurs ardentes
convoitises? Que ce soit amour ou gloire, fortune ou plaisir, des qu'ils
existent, ils aspirent a un but. Si nous avons en nous une philosophie,
ils marchent droit selon nous; si nous n'en avons pas, ils marchent au
hasard et sont trop domines
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