n'avaient plus d'argent, ils brisaient leurs boutiques et
prenaient tout sans rien payer. La _setch_ se composait d'au moins
soixante _koureni_, qui etaient autant de petites republiques
independantes, ressemblant aussi a des ecoles d'enfants qui n'ont
rien a eux, parce qu'on leur fournit tout. Personne, en effet, ne
possedait rien; tout se trouvait dans les mains de l'_ataman_ du
_kouren_, qu'on avait l'habitude de nommer pere (_batka_). Il
gardait l'argent, les habits, les provisions, et jusqu'au bois de
chauffage. Souvent un _kouren_ se prenait de querelle avec un
autre. Dans ce cas, la dispute se vidait par un combat a coups de
poing, qui ne cessait qu'avec le triomphe d'un parti, et alors
commencait une fete generale. Voila quelle etait cette _setch_ qui
avait tant de charme pour les jeunes gens. Ostap et Andry se
lancerent avec toute la fougue de leur age sur cette mer orageuse,
et ils eurent bien vite oublie le toit paternel, et le seminaire,
et tout ce qui les avait jusqu'alors occupes. Tout leur semblait
nouveau, et les moeurs vagabondes de la _setch_, et les lois fort
peu compliquees qui la regissaient, mais qui leur paraissaient
encore trop severes pour une telle republique. Si un Cosaque
volait quelque misere, c'etait compte pour une honte sur toute
l'association. On l'attachait, comme un homme deshonore, a une
sorte de colonne infame, et, pres de lui, l'on posait un gros
baton dont chaque passant devait lui donner un coup jusqu'a ce que
mort s'ensuivit. Le debiteur qui ne payait pas etait enchaine a un
canon, et il restait a cette attache jusqu'a ce qu'un camarade
consentit a payer sa dette pour le delivrer; mais Andry fut
surtout frappe par le terrible supplice qui punissait le
meurtrier. On creusait une fosse profonde dans laquelle on
couchait le meurtrier vivant, puis on posait sur son corps le
cadavre du mort enferme dans un cercueil, et on les couvrait tous
les deux de terre. Longtemps apres une execution de ce genre,
Andry fut poursuivi par l'image de ce supplice horrible, et
l'homme enterre vivant sous le mort se representait incessamment a
son esprit.
Les deux jeunes Cosaques se firent promptement aimer de leurs
camarades. Souvent, avec d'autres membre du meme _kouren_, ou avec
le _kouren_ tout entier, ou meme avec les _koureni_ voisins, ils
s'en allaient dans la steppe a la chasse des innombrables oiseaux
sauvages, des cerfs, des chevreuils; ou bien ils se rendaient sur
les bords des lacs et d
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