mon frere? lui dit Tarass.
-- Je l'ai connu, devant Dieu. C'etait un seigneur tres genereux.
-- Et comment te nomme-t-on?
-- Yankel.
-- Bien, dit Tarass.
Puis, apres avoir reflechi:
-- Il sera toujours temps de pendre le juif, dit-il aux Cosaques.
Donnez-le-moi pour aujourd'hui.
Ils y consentirent. Tarass le conduisit a ses chariots pres
desquels se tenaient ses Cosaques.
-- Allons, fourre-toi sous ce chariot, et ne bouge plus. Et vous,
freres, ne laissez pas sortir le juif.
Cela dit, il s'en alla sur la place, ou la foule s'etait des
longtemps rassemblee. Tout le monde avait abandonne le travail des
canots, car ce n'etait pas une guerre maritime qu'ils allaient
faire, mais une guerre de terre ferme. Au lieu de chaloupes et de
rames, il leur fallait maintenant des chariots et des coursiers. A
cette heure, chacun voulait se mettre en campagne, les vieux comme
les jeunes; et tous d'apres le consentement des anciens, le
_kochevoi_ et les _atamans_ des _koureni_, avaient resolu de
marcher droit sur la Pologne, pour venger toutes leurs offenses,
l'humiliation de la religion et de la gloire cosaque, pour
ramasser du butin dans les villes ennemies, bruler les villages et
les moissons, faire enfin retentir toute la steppe du bruit de
leurs hauts faits. Tous s'armaient. Quant au _kochevoi_, il avait
grandi de toute une palme. Ce n'etait plus le serviteur timide des
caprices d'un peuple voue a la licence; c'etait un chef dont la
puissance n'avait pas de bornes, un despote qui ne savait que
commander et se faire obeir. Tous les chevaliers tapageurs et
volontaires se tenaient immobiles dans les rangs, la tete
respectueusement baissee, et n'osant lever les regards, pendant
qu'il distribuait ses ordres avec lenteur, sans colere, sans cri,
comme un chef vieilli dans l'exercice du pouvoir, et qui
n'executait pas pour la premiere fois des projets longuement
muris.
-- Examinez bien si rien ne vous manque, leur disait-il; preparez
vos chariots, essayez vos armes; ne prenez pas avec vous trop
d'habillements. Une chemise et deux pantalons pour chaque Cosaque,
avec un pot de lard et d'orge pilee. Que personne n'emporte
davantage. Il y aura des effets et des provisions dans les
bagages. Que chaque Cosaque emmene une paire de chevaux. Il faut
prendre aussi deux cents paires de boeufs; ils nous seront
necessaires dans les endroits marecageux et au passage des
rivieres. Mais de l'ordre surtout, seigneurs, de l'ordre. Je
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