n groupe
etait renverse pele-mele. Plus loin, un ivrogne choisissait
longtemps une place pour se coucher, et finissait par s'etendre
sur une piece de bois. Le dernier, le plus fort de tous, marcha
longtemps, en trebuchant sur les corps et en balbutiant des
paroles incoherentes; mais enfin il tomba comme les autres, et
toute la _setch_ s'endormit.
CHAPITRE IV
Des le lendemain, Tarass Boulba se concertait avec le nouveau
_kochevoi_, pour savoir comment l'on pourrait decider les
Zaporogues a une resolution. Le _kochevoi_ etait un Cosaque fin et
ruse qui connaissait bien ses Zaporogues. Il commenca par dire:
-- C'est impossible de violer le serment, c'est impossible.
Et puis, apres un court silence, il reprit:
-- Oui, c'est possible. Nous ne violerons pas le serment, mais
nous inventerons quelque chose. Seulement faites en sorte que le
peuple se rassemble, non sur mon ordre, mais par sa propre
volonte. Vous savez bien comment vous y prendre; et moi, avec les
anciens, nous accourrons aussitot sur la place comme si nous ne
savions rien.
Une heure ne s'etait pas passee depuis leur entretien, quand les
timbales resonnerent de nouveau. La place fut bientot couverte
d'un million de bonnets cosaques. On commenca a se faire des
questions:
-- Quoi?... Pourquoi?... Qu'a-t-on a battre les timbales?
Personne ne repondait. Peu a peu, neanmoins, on entendit dans la
foule les propos suivants:
-- La force cosaque perit a ne rien faire... Il n'y a pas de
guerre, pas d'entreprise... Les anciens sont des faineants; ils ne
voient plus, la graisse les aveugle. Non, il n'y a pas de justice
au monde.
Les autres Cosaques ecoutaient en silence, et ils finirent par
repeter eux-memes:
-- Effectivement, il n'y a pas du tout de justice au monde.
Les anciens paraissaient fort etonnes de pareils discours. Enfin
le _kochevoi_ s'avanca, et dit:
-- Me permettez-vous de parler, seigneurs Zaporogues?
-- Parle.
-- Mon discours, seigneurs, sera fait en consideration de ce que
la plupart d'entre vous, et vous le savez sans doute mieux que
moi, doivent tant d'argent aux juifs des cabarets et a leurs
camarades, qu'aucun diable ne fait plus credit. Puis, ensuite, mon
discours sera fait en consideration de ce qu'il y a parmi nous
beaucoup de jeunes gens qui n'ont jamais vu la guerre de pres,
tandis qu'un jeune homme, vous le savez vous-memes, seigneurs, ne
peut exister sans la guerre. Quel Zaporogue est-ce, s'il n'a
jamais ba
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