en l'idee
d'une tempete, tant elle se balancait en meme temps; et sa tete toujours
coiffee d'un enorme bonnet blanc, dont les rubans lui flottaient dans le
dos, semblait traverser l'horizon, du nord au sud et du sud au nord, a
chacun de ses mouvements.
J'adorais cette mere Clochette. Aussitot leve je montais dans la lingerie
ou je la trouvais installee a coudre, une chaufferette sous les pieds. Des
que j'arrivais, elle me forcait a prendre cette chaufferette et a m'asseoir
dessus pour ne pas m'enrhumer dans cette vaste piece froide, placee sous le
toit.
--Ca te tire le sang de la gorge, disait-elle.
Elle me contait des histoires, tout en reprisant le linge avec ses longs
doigts crochus, qui etaient vifs; ses yeux derriere ses lunettes aux verres
grossissants, car l'age avait affaibli sa vue, me paraissaient enormes,
etrangement profonds, doubles.
Elle avait, autant que je puis me rappeler les choses qu'elle me disait et
dont mon coeur d'enfant etait remue, une ame magnanime de pauvre femme.
Elle voyait gros et simple. Elle me contait les evenements du bourg,
l'histoire d'une vache qui s'etait sauvee de l'etable et qu'on avait
retrouvee, un matin, devant le moulin de Prosper Malet, regardant tourner
les ailes de bois, ou l'histoire d'un oeuf de poule decouvert dans le
clocher de l'eglise sans qu'on eut jamais compris quelle bete etait venue
le pondre la, ou l'histoire du chien de Jean-Jean Pilas, qui avait ete
reprendre a dix lieues du village la culotte de son maitre volee par un
passant tandis qu'elle sechait devant la porte apres une course a la pluie.
Elle me contait ces naives aventures de telle facon qu'elles prenaient en
mon esprit des proportions de drames inoubliables, de poemes grandioses et
mysterieux; et les contes ingenieux inventes par des poetes et que me
narrait ma mere, le soir, n'avaient point cette saveur, cette ampleur,
cette puissance des recits de la paysanne.
* * * * *
Or, un mardi, comme j'avais passe toute la matinee a ecouter la mere
Clochette, je voulus remonter pres d'elle, dans la journee, apres avoir ete
cueillir des noisettes avec le domestique, au bois des Hallets, derriere la
ferme de Noirpre. Je me rappelle tout cela aussi nettement que les choses
d'hier.
Or, en ouvrant la porte de la lingerie, j'apercus la vieille couturiere
etendue sur le sol, a cote de sa chaise, la face par terre, les bras
allonges, tenant encore son aiguille d'une main,
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