us defendez votre Eglise avec ardeur et talent, me dit-il; mais je
regrette de voir toujours des esprits d'elite s'enfoncer volontairement
dans une notion qui est une erreur funeste au progres des connaissances
humaines. Nos peres ne l'entendaient pas ainsi; ils cultivaient
simultanement toutes les facultes de l'esprit, toutes les manifestations
du beau et du vrai. On dit que les connaissances ont pris un tel
developpement, que la vie d'un homme suffit a peine aujourd'hui a une
des moindres specialites: je ne suis pas convaincu que cela soit bien
vrai. On perd tant de temps a discuter ou a intriguer pour se faire un
nom, sans parler de ceux qui perdent les trois quarts de leur vie a ne
rien faire! C'est parce que la vie sociale est devenue tres-compliquee,
que les uns gaspillent leur existence a s'y frayer une voie, et les
autres a ne rien vouloir entreprendre de peur de se fatiguer. Et puis
encore l'esprit humain s'est subtilise a l'exces, et, sous pretexte
d'analyse intellectuelle et de contemplation interieure, la puissante et
infortunee race des poetes s'use dans le vague ou dans le vide, sans
chercher son rasserenement, sa lumiere et sa vie dans le sublime
spectacle du monde! Permettez, ajouta-t-il avec une douce et
convaincante vivacite en me voyant pret a l'interrompre: je sais ce que
vous voulez me dire. Le poete et le peintre se pretendent les amants
privilegies de la nature; ils se flattent de la posseder exclusivement,
parce qu'ils ont des formes et des couleurs et un vif ou profond
sentiment pour l'interpreter. Je ne le nie pas et j'admire leur
traduction quand elle est reussie; mais je pretends, moi, que les plus
habiles et les plus heureux, les plus durables et les mieux inspires
d'entre eux sont ceux qui ne se contentent pas de l'aspect des choses,
et qui vont chercher la raison d'etre du beau au fond des mysteres d'ou
s'epanouit la splendeur de la creation. Ne me dites pas, a moi, que
l'etude des lois naturelles et la recherche des causes refroidissent le
coeur et retardent l'essor de la pensee; je ne vous croirais pas, car,
si peu qu'on regarde la source ineffable des eternels phenomenes, je
veux dire la logique et la magnificence de Dieu, on est ebloui
d'admiration devant son oeuvre. Vous autres, vous ne voulez tenir compte
que d'un des resultats de cette logique sublime, le beau qui frappe les
yeux; mais, a votre insu, vous etes des savants quand vous avez de bons
yeux, car le beau n'existerait pas sans
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