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savoir combien d'especes de mouches sucent en ce moment autour de nous
le serpolet et les lavandes. Je sais bien que l'ignorant complet croit
avoir tout vu quand il a remarque le bourdonnement de l'abeille; mais,
moi qui sais que l'abeille a beaucoup de soeurs ailees qui modifient et
repandent son type, je ne demande pas qu'on me dise ou il commence et ou
il finit. J'aime mieux me persuader que nulle part il ne finit, que
nulle part il ne commence, et mon besoin de poesie trouve que le mot
_abeille_ resume tout ce qui anime de son chant et de son travail les
tapis embaumes de la montagne. Permettez donc au poete de ne voir que la
synthese des choses et n'exigez pas que le chantre de la nature en soit
l'historien.
--Je trouve qu'ici vous avez mille fois raison, repondit mon docteur. Le
poete doit resumer, vous etes dans le vrai, et jamais la dure et souvent
arbitraire technologie des naturalistes ne sera de son domaine,
esperons-le! Seulement, le poete qui chantera l'abeille ne perdra rien a
la connaitre dans tous les details de son organisation et de son
existence. Il prendra d'elle ainsi que de sa superiorite sur la foule
des especes congeneres, une idee plus grande, plus juste et plus
feconde. Et ainsi de tout, croyez-moi. L'examen attentif de chaque chose
est la clef de l'ensemble. Mais ce n'est pas la le point de vue le plus
serieux de la these que vous m'avez permis de soutenir devant vous. Il
en est un purement philosophique qui a une bien autre importance: c'est
que la sante de l'ame n'est pas plus dans la tension perpetuelle de
l'enthousiasme lyrique que celle du corps n'est dans l'usage exclusif et
prolonge des excitants. Les calmes et saintes jouissances de l'etude
sont necessaires a notre equilibre, a notre raison, permettez-moi de le
dire aussi, a notre moralite!...
Je fus frappe de la ressemblance de cette assertion avec les theories
d'Obernay, et ne pus m'empecher de lui dire que j'avais un ami qui me
prechait en ce sens.
--Votre ami a raison, reprit-il; il sait sans doute par experience que
l'homme civilise est un malade fort delicat qui doit etre son propre
medecin sous peine de devenir fou ou bete!
--Docteur, voila une proposition bien sceptique pour un croyant de votre
force!
--Je ne suis d'aucune force, repondit-il avec une bonhomie melancolique;
je suis tout pareil aux autres, debile dans la lutte de mes affections
contre ma logique, trouble bien souvent dans ma confiance en Dieu par
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