ez-en un!
Il se mit a rire de bon coeur de ma fantaisie, et pourtant, au milieu de
sa gaiete, je crus voir passer un nuage sur son beau front, comme si
j'eusse imprudemment rouvert une blessure cachee. Je ne me trompais pas:
il cessa de rire et me dit avec douceur:
--Mon cher monsieur, ne jouons pas a ce jeu-la, ou jouons-y
serieusement. A mon age, on a toujours eu un drame dans sa vie. Voici le
mien. J'ai beaucoup aime une femme qui est morte. Avez-vous des paroles
et des idees pour me consoler?
Je fus si frappe de la simplicite de sa plainte, que je perdis l'envie
de faire de l'esprit.
--Je vous demande pardon de ma maladresse, lui dis-je. J'aurais du me
dire que vous n'etiez pas un enfant comme moi, et que, dans tous les
cas, ce sujet de causerie ne me donnerait sur vous aucun avantage. Quand
vous m'aurez quitte, je pourrai bien trouver, en prose ou en vers,
quelque tirade a effet pour vous repondre ou vous consoler; mais, ici,
devant une figure qui commande la sympathie, devant une parole qui
impose le respect, je me sens si petit garcon, que je ne me permettrai
meme pas de vous plaindre, certain que je suis d'avoir beaucoup moins de
sagesse et de courage que vous n'en avez vous-meme.
Ma reponse le toucha; il me tendit la main en me disant que j'etais un
modeste et brave garcon, et que je venais de lui parler en homme, ce qui
valait encore mieux que de parler en poete.
--Ce n'est pourtant pas, ajouta-t-il en secouant sa melancolie par un
genereux effort, que je dedaigne les poetes et la poesie. Les artistes
m'ont toujours semble aussi serieux et aussi utiles que les savants
quand ils sont vraiment artistes, et un grand esprit qui tiendrait
egalement du savant et de l'artiste me paraitrait le plus noble
representant du beau et du vrai dans l'humanite.
--Ah! puisque vous voulez bien causer avec moi, repris-je, il faut que
vous me permettiez de vous contredire. Il est bien entendu d'avance que
vous aurez raison; mais laissez-moi emettre ma pensee.
--Oui, oui, je vous en prie. C'est peut-etre moi qui ai tort. La
jeunesse est grand juge en ces matieres. Parlez...
Je parlai avec abondance et conviction. Je ne rapporterai pas mes
paroles, dont je ne me souviens guere, et que le lecteur imaginera sans
peine en se rappelant la theorie de l'art pour l'art, si fort en vogue a
cette epoque. La reponse de mon interlocuteur, qui m'est tres-presente,
fera, d'ailleurs, suffisamment connaitre le plaidoyer.
--Vo
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