franchissant les degres du perron, M. Godefroy
[25]se dit qu'il n'a que le temps de faire sa toilette du soir,
lorsque, dans le vestibule, il voit tous ses domestiques, en
cercle devant lui, l'air consterne, et, dans un coin, affalee
sur une banquette, l'Allemande, qui pousse un cri en l'apercevant,
et cache aussitot dans ses deux mains son
[30]visage bouffi de larmes. M. Godefroy a le pressentiment
d'un malheur.
"Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'y a-t-il?"
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Charles, le valet de chambre,--un drole de la pire espece,
pourtant,--regarde son maitre avec des yeux pleins
de pitie, et begayant et trouble: "Monsieur Raoul!...
--Mon fils?...
[5]--Perdu, monsieur!... Cette stupide Allemande!...
Perdu depuis quatre heures de l'apres-midi!..."
Le pere recule de deux pas en chancelant, comme un
soldat frappe d'une balle; et l'Allemand se jette a ses
pieds, hurlant d'une voix de folle: "Pardon!... Pardon!"
[10]et les laquais parlent tous a la fois.
"Bertha n'etait pas allee au parc Monceau... C'est
la-bas, sur les fortifications, qu'elle a laisse se perdre le
petit... On a cherche partout M. le directeur; on est alle
au Comptoir, a la Chambre; il venait de partir...
[15]Figurez-vous que l'Allemande rejoignait tous les jours son
amoureux, au dela du rempart, pres de la porte d'Asnieres
...Quelle horreur!... Un quartier plein de bohemiens,
de saltimbanques! Qui sait si l'on n'a pas vole
l'enfant?... Ah! le commissaire etait deja prevenu... Mais
[20]concoit-on cela? Cette sainte-nitouche!... Des rendez-vous
avec un amant, un homme de son pays!... Un espion
prussien, pour sur!..."
Son fils! Perdu! M. Godefroy entend l'orage de l'apoplexie
gronder dans ses oreilles. Il bondit sur l'Allemande,
[25]l'empoigne par le bras, la secoue avec fureur.
"Ou l'avez-vous perdu de vue, miserable?... Dites la
verite, ou je vous ecrase!... Ou ca? Ou ca?..."
Mais la malheureuse fille ne sait que pleurer et crier
grace. Voyons, du calme!... Son fils! son fils a lui, perdu,
[30]vole? Ce n'est pas possible! On va le lui retrouver, le
lui rendre tout de suite. Il peut jeter l'or a poignees,
mettre toute la police en l'air. Ah! pas un instant a perdre,
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"Charles, qu'on ne detelle pas... Vous autres, gardez-moi
cette coquine... Je vais a la Prefecture."
Et M. Godefroy, le coeur battant a se rompre, les cheveux
souleves d'epouvante, s'elance de nouveau dans
[5]son coupe, qui repart d'un trot enrage. Quelle ir
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