corridor obscur d'une
longueur interminable. Mahmoud-Ben-Ahmed, en tatant
les murs, reconnut qu'ils etaient de roche vive, sculptes
d'hieroglyphes en creux et comprit qu'il etait dans les
couloirs souterrains d'une ancienne necropole egyptienne
[10]dont on avait profite pour etablir cette issue secrete. Au
bout du corridor, dans un grand eloignement, scintillaient
quelques lueurs de jour bleuatre. Ce jour passait a travers
des dentelles d'une sculpture evidee faisant partie de la
salle ou le corridor aboutissait. Le muet poussa un autre
[15]ressort, et Mahmoud-Ben-Ahmed se trouva dans une
salle dallee de marbre blanc, avec un bassin et un jet
d'eau au milieu, des colonnes d'albatre, des murs revetus
de mosaiques de verre, de sentences du Coran entremelees
de fleurs et d'ornements, et couverte par une voute
[20]sculptee, fouillee, travaillee comme l'interieur d'une ruche
ou d'une grotte a stalactites, d'enormes pivoines ecarlates
posees dans d'enormes vases mauresques de porcelaine
blanche et bleue completaient la decoration. Sur une
estrade garnie de coussins, espece d'alcove pratiquee dans
[25]l'epaisseur du mur, etait assise la princesse Ayesha, sans
voile, radieuse, et surpassant en beaute les houris du
quatrieme ciel.
"Eh bien! Mahmoud-Ben-Ahmed, avez-vous fait d'autres
vers en mon honneur?" lui dit-elle du ton le plus
[30]gracieux en lui faisant signe de s'asseoir.
Mahmoud-Ben-Ahmed se jeta aux genoux d'Ayesha et
tira son papyrus de sa manche, et lui recita son ghazel
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du ton le plus passionne; c'etait vraiment un remarquable
morceau de poesie. Pendant qu'il lisait, les joues de la
princesse s'eclairaient et se coloraient comme une lampe
d'albatre que l'on vient d'allumer. Ses yeux etoilaient et
[5]lancaient des rayons d'une clarte extraordinaire, son corps
devenait comme transparent, sur ses epaules fremissantes
s'ebauchaient vaguement des ailes de papillon.
Malheureusement Mahmoud-Ben-Ahmed, trop occupe de la
lecture de sa piece de vers, ne leva pas les yeux et ne
[10]s'apercut pas de la metamorphose qui s'etait operee.
Quand il eut acheve, il n'avait plus devant lui que la
princesse Ayesha qui le regardait en souriant d'un air
ironique.
Comme tous les poetes, trop occupes de leurs propres
[15]creations, Mahmoud-Ben-Ahmed avait oublie que les
plus beaux vers ne valent pas une parole sincere, un regard
illumine par la clarte de l'amour.--Les peris sont comme
les femmes, il faut les devin
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