un tombeau.
Son ami Abdul-Maleck, alarme de son etat, venait le
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visiter souvent et ne pouvait s'empecher de remarquer
les graces et la beaute de Leila, qui egalaient pour le
moins celles de la princesse Ayesha, si meme elles ne les
depassaient, et s'etonnait de l'aveuglement de
[5]Mahmoud-Ben-Ahmed; et s'il n'eut craint de violer les saintes lois
de l'amitie, il eut pris volontiers la jeune esclave pour
femme. Cependant, sans rien perdre de sa beaute, Leila
devenait chaque jour plus pale; ses grands yeux s'alanguissaient;
les rougeurs de l'aurore faisaient place sur ses
[10]joues aux paleurs du clair de lune. Un jour
Mahmoud-Ben-Ahmed s'apercut qu'elle avait pleure, et lui en
demanda la cause:
"O mon cher seigneur, je n'oserais jamais vous la dire:
moi, pauvre esclave recueillie par pitie, je vous aime; mais
[15]que suis-je a vos yeux? je sais que vous avez forme le voeu
de n'aimer qu'une peri ou qu'une sultane: d'autres se
contenteraient d'etre aimes sincerement par un coeur
jeune et pur et ne s'inquieteraient pas de la fille du calife
ou de la reine des genies: regardez-moi, j'ai eu quinze
[20]ans hier, je suis peut-etre aussi belle que cette Ayesha
dont vous parlez tout haut en revant; il est vrai qu'on ne
voit pas briller sur mon front l'escarboucle magique, ou
l'aigrette de plume de heron; je ne marche pas accompagnee
de soldats aux mousquets incrustes d'argent et de
[25]corail. Mais cependant je sais chanter, improviser sur la
guzla, je danse comme Emineh elle-meme, je suis pour
vous comme une soeur devouee, que faut-il donc pour
toucher votre coeur?"
Mahmoud-Ben-Ahmed, en entendant ainsi parler Leila,
[30]sentait son coeur se troubler; cependant il ne disait rien
et semblait en proie a une profonde meditation. Deux
resolutions contraires se disputaient son ame: d'une part,
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il lui en coutait de renoncer a son reve favori; de l'autre,
il se disait qu'il serait bien fou de s'attacher a une femme
qui s'etait jouee de lui et l'avait quitte avec des paroles
railleuses, lorsqu'il avait dans sa maison, en jeunesse et
[5]en beaute, au moins l'equivalent de ce qu'il perdait.
Leila, comme attendant son arret, se tenait agenouillee,
et deux larmes coulaient silencieusement sur la figure pale
de la pauvre enfant.
"Ah! pourquoi le sabre de Mesrour n'a-t-il pas acheve
[10]ce qu'il avait commence!" dit-elle en portant la main a
son cou frele et blanc.
Touche de cet accent de douleu
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