vous tourmente. S'il etait au pouvoir de votre
esclave de dissiper ce nuage de tristesse qui voile votre
[15]front, elle s'estimerait la plus heureuse femme du monde,
et ne porterait pas envie a la sultane Ayesha elle-meme,
quelque belle et quelque riche qu'elle soit."
Ce nom fit tressaillir Mahmoud-Ben-Ahmed sur son
divan, comme un malade dont on touche la plaie par
[20]hasard; il se souleva un peu et jeta un regard inquisiteur
sur Leila, dont la physionomie etait la plus calme du
monde et n'exprimait rien autre chose qu'une tendre
sollicitude. Il rougit cependant comme s'il avait ete
surpris dans le secret de sa passion. Leila, sans faire
[25]attention a cette rougeur delatrice et significative,
continua a offrir ses consolations a son nouveau maitre:
"Que puis-je faire pour eloigner de votre esprit les
sombres idees qui l'obsedent? un peu de musique dissiperait
peut-etre cette melancolie. Une vieille esclave qui
[30]avait ete odalisque de l'ancien sultan m'a appris les secrets
de la composition; je puis improviser des vers et m'accompagner
de la guzla!"
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En disant ces mots, elle detacha du mur la guzla au
ventre de citronnier, cotele d'ivoire, au manche incruste
de nacre, de burgau et d'ebene, et joua d'abord avec une
rare perfection la tarabuca et quelques autres airs arabes.
[5]La justesse de la voix et la douceur de la musique eussent,
en toute autre occasion, rejoui Mahmoud-Ben-Ahmed,
qui etait fort sensible aux agrements des vers et
de l'harmonie; mais il avait le cerveau et le coeur si
preoccupes de la dame qu'il avait vue chez Bedredin, qu'il ne
[10]fit aucune attention aux chansons de Leila.
Le lendemain, plus heureux que la veille, il rencontra
Ayesha dans la boutique de Bedredin. Vous decrire sa
joie serait une entreprise impossible; ceux qui ont ete
amoureux peuvent seuls la comprendre. Il resta un
[15]moment sans voix, sans haleine, un nuage dans les yeux.
Ayesha, qui vit son emotion, lui en sut gre et lui adressa
la parole avec beaucoup d'affabilite; car rien ne flatte les
personnes de haute naissance comme le trouble qu'elles
inspirent. Mahmoud-Ben-Ahmed, revenu a lui, fit tous
[20]ses efforts pour etre agreable, et comme il etait jeune, de
belle apparence, qu'il avait etudie la poesie et s'exprimait
dans les termes les plus elegants, il crut s'apercevoir qu'il
ne deplaisait point, et il s'enhardit a demander un rendez-vous
a la princesse dans un lieu plus propice et plus sur
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