uvait la conscience
d'appartenir a une maison considerable et a une personne
de la plus haute qualite. Notre amoureux, en regardant
ces epaisses murailles, fit de vains efforts pour decouvrir
[5]de quel cote se trouvaient les appartements d'Ayesha. Il
ne put y parvenir: la grande porte, formee par un arc
decoupe en coeur, etait muree au fond, ne donnait acces
dans la cour que par une porte laterale, et ne permettait
pas au regard d'y penetrer. Mahmoud-Ben-Ahmed fut
[10]oblige de se retirer sans avoir fait aucune decouverte;
l'heure s'avancait et il aurait pu etre remarque. Il se
rendit donc chez Bedredin, auquel il fit, pour se le rendre
favorable, des emplettes assez considerables d'objets dont
il n'avait aucun besoin. Il s'assit dans la boutique,
[15]questionna le marchand, s'enquit de son commerce, s'il
s'etait heureusement defait des soieries et des tapis apportes
par la derniere caravane d'Alep, si ses vaisseaux
etaient arrives au port sans avaries; bref, il fit toutes les
lachetes habituelles aux amoureux; il esperait toujours
[20]voir paraitre Ayesha; mais il fut trompe dans son attente:
elle ne vint pas ce jour-la. Il s'en retourna chez lui, le
coeur gros, l'appelant deja cruelle et perfide, comme si
effectivement elle lui eut promis de se trouver chez Bedredin
et qu'elle lui eut manque de parole.
[25]En rentrant dans sa chambre, il mit ses babouches dans
la niche de marbre sculpte, creusee a cote de la porte pour
cet usage; il ota le caftan d'etoffe precieuse qu'il avait
endosse dans l'idee rehausser sa bonne mine et de
paraitre avec tous ses avantages aux yeux d'Ayesha, et
[30]s'etendit sur son divan dans un affaissement voisin du
desespoir. Il lui semblait que tout etait perdu, que le
monde allait finir, et il se plaignait amerement de la
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fatalite; le tout, pour ne pas avoir rencontre, ainsi qu'il
l'esperait, une femme qu'il ne connaissait pas deux jours
auparavant.
Comme il avait ferme les yeux de son corps pour mieux
[5]voir le reve de son ame, il sentit un vent leger lui rafraichir
le front; il souleva ses paupieres, et vit, assise a cote de
lui, par terre, Leila qui agitait un de ces petits pavillons
d'ecorce de palmier, qui servent, en Orient, d'eventail et
de chasse-mouche. Il l'avait completement oubliee.
[10]"Qu'avez-vous, mon cher seigneur? dit-elle d'une voix
perlee et melodieuse comme de la musique. Vous ne
paraissez pas jouir de votre tranquillite d'esprit; quelque
souci
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