]il fuit quand on le cherche; et, pour calmer ses esprits
par le spectacle d'une nuit sereine, il se rendit avec
son narguilhe sur la plus haute terrasse de son habitation.
L'air frais de la nuit, la beaute du ciel plus paillete d'or
qu'une robe de peri et dans lequel la lune faisait voir ses
[15]joues d'argent, comme une sultane pale d'amour qui se
penche aux treillis de son kiosque, firent du bien a
Mahmoud-Ben-Ahmed, car il etait poete, et ne pouvait rester
insensible au magnifique spectacle qui s'offrait a sa vue.
De cette hauteur, la ville du Caire se deployait devant
[20]lui comme un de ces plans en relief ou les giaours retracent
leurs villes fortes. Les terrasses ornees de pots de plantes
grasses, et bariolees de tapis; les places ou miroitait l'eau
du Nil, car on etait a l'epoque de l'inondation; les jardins
d'ou jaillissaient des groupes de palmiers, des touffes de
[25]caroubiers ou de nopals; les iles de maisons coupees de
rues etroites; les coupoles d'etain des mosquees; les minarets
freles et decoupes a jour comme un hochet d'ivoire;
les angles obscurs ou lumineux des palais formaient un
coup d'oeil arrange a souhait pour le plaisir des yeux.
[30]Tout au fond, les sables cendres de la plaine confondaient
leurs teintes avec les couleurs laiteuses du firmament, et
les trois pyramides de Giseh, vaguement ebauchees par
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un rayon bleuatre, dessinaient au bord de l'horizon leur
gigantesque triangle de pierre.
Assis sur une pile de carreaux et le corps enveloppe par
les circonvolutions elastiques du tuyau de son narguilhe,
[5]Mahmoud-Ben-Ahmed tachait de demeler dans la transparente
obscurite la forme lointaine du palais ou dormait
la belle Ayesha. Un silence profond regnait sur ce tableau
qu'on aurait pu croire peint, car aucun souffle,
aucun murmure n'y revelaient la presence d'un etre
[10]vivant: le seul bruit appreciable etait celui que faisait la
fumee du narguilhe de Mahmoud-Ben-Ahmed en traversant
la boule de cristal de roche remplie d'eau destinee a
refroidir ses blanches bouffees. Tout d'un coup, un cri
aigu eclata au milieu de ce calme, un cri de detresse supreme,
[15]comme doit en pousser, au bord de la source, l'antilope
qui sent se poser sur son cou la griffe d'un lion, ou
s'engloutir sa tete dans la gueule d'un crocodile.
Mahmoud-Ben-Ahmed, effraye par ce cri d'agonie et de
desespoir, se leva d'un seul bond et posa instinctivement la
[20]main sur le pommeau de son yatagan dont
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