t, repondit le jeune homme en rougissant beaucoup,
une piece de vers que j'ai composee cette nuit, ne
pouvant dormir. J'ai tache d'y celebrer vos perfections;
[30]mais la copie est bien loin de l'original, et mes vers n'ont
point les brillants qu'il faut pour celebrer ceux de vos
Yeux."
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La jeune dame lut ces vers attentivement, et dit en les
mettant dans sa ceinture:
"Quoiqu'ils contiennent beaucoup de flatteries, ils ne
sont vraiment pas mal tournes."
[5]Puis elle ajusta son voile et sortit de la boutique en
laissant tomber avec un accent qui penetra le coeur de
Mahmoud-Ben-Ahmed:
"Je viens quelquefois, au retour du bain, acheter des
essences et des boites de parfumerie chez Bedredin."
[10]Le marchand felicita Mahmoud-Ben-Ahmed de sa
bonne fortune, et, l'emmenant tout au fond de sa boutique,
il lui dit bien bas a l'oreille:
"Cette jeune dame n'est autre que la princesse Ayesha,
fille du calife."
[15]Mahmoud-Ben-Ahmed rentra chez lui tout etourdi de
son bonheur et n'osant y croire. Cependant, quelque
modeste qu'il fut, il ne pouvait se dissimuler que la princesse
Ayesha ne l'eut regarde d'un oeil favorable. Le
hasard, ce grand entremetteur, avait ete au dela de ses
[20]plus audacieuses esperances. Combien il se felicita alors
de ne pas avoir cede aux suggestions de ses amis qui
l'engageaient a prendre femme, et aux portraits seduisants
que lui faisaient les vieilles des jeunes filles a marier qui
ont toujours, comme chacun le sait, des yeux de gazelle,
[25]une figure de pleine lune, des cheveux plus longs que la
queue d'Al Borack, la jument du Prophete, une bouche
de jaspe rouge, avec une haleine d'ambre gris, et mille
autres perfections qui tombent avec le haick et le voile
nuptial: comme il fut heureux de se sentir degage de tout
[30]lien vulgaire, et libre de s'abandonner tout entier a sa
nouvelle passion!
Il eut beau s'agiter et se tourner sur son divan, il ne
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put s'endormir; l'image de la princesse Ayesha, etincelante
comme un oiseau de flamme sur un fond de soleil
couchant, passait et repassait devant ses yeux. Ne pouvant
trouver de repos, il monta dans un de ses cabinets de
[5]bois de cedre merveilleusement decoupe que l'on applique,
dans les villes d'Orient, aux murailles exterieures des
maisons, afin d'y profiter de la fraicheur et du courant
d'air qu'une rue ne peut manquer de former; le sommeil
ne lui vint pas encore, car le sommeil est comme le bonheur,
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