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pousse pas a terre, car il met tout son tort sur le compte du progres,
le grand ennemi, le chemin de perdition de la jeunesse.
A l'egard des masses souffrantes, le paysan aise est tres-dur en
theorie. Il se revolte a l'idee du mieux general; cependant il plaint et
assiste les maux particuliers; mais il a horreur des conclusions, de
quelque cote qu'elles lui soient presentees, et ce sera sagesse que de
chercher le moyen de l'y amener sans qu'il s'en apercoive.
XII
Au village de ***, 27 et 28 juillet.
Nous voici dans nos torrents et dans nos rochers. Amyntas est venu
au-devant de nous a pied avec Moreau, jusqu'au joli bois entre le
chatelier et la croix. Ils rendent l'ame, notre cheval aussi.
On fait halte. La chaleur devient torride des qu'on s'engage dans les
vallons qui conduisent a la Creuse.
Cette fois, nous avons quelque peine a remiser la voiture. Les recoltes
sont presque finies, les granges sont pleines.
Nous descendons a la Creuse et nous la remontons jusqu'a l'embouchure du
torrent de notre village. Il n'y a pas pour une heure de marche, et
c'est en somme le plus beau coin de la gorge. La Creuse y est resserree
et traverse deux ou trois petits chaos tres-romantiques.
J'ai vu autrefois ce paysage encore plus beau: on a abattu de grands
chenes qui le completaient. On a fait un nouveau pont, qui sera encore
emporte comme celui que nous passions autrefois pour aller a la
_Prune-au-Pot_, un vieux manoir qui a eu l'honneur d'heberger Henri IV,
et qui est tres-bien conserve.
La Creuse est terrible quelquefois. Je l'ai vue bien mechante. En ce
moment, elle est si basse et si tranquille, que l'on a besoin de
regarder la position de ses enormes blocs de granit pour se persuader
que c'est elle qui les a apportes la.
Le village se presente encore mieux en montant qu'en descendant. On y
arrive par des prairies delicieuses.
Nous y voila. Decidement, on est ici plus demonstratif que chez nous.
Nous sommes deja recus comme de vieux amis, et nous trouvons Amyntas lie
avec tout le monde.
Un artiste eminent, qui a decouvert aussi le village, et dont le nom se
recommande de lui-meme, est invite par nous a dejeuner le lendemain sur
le rocher, et nous recommencons la partie de peche et de friture au
bord de la Creuse. Il est ravi de la douceur et de la grace de cette
nature. Il fait rapidement des croquis adorables.
Les peintres qui comprennent le vrai sont d'heureux poetes. Ils
saisissent
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