tout.
Cette tolerance du clerge rustique pour les anciennes superstitions
paiennes ne devrait pas etre trop encouragee par le haut clerge. Elle
est contraire a l'esprit du veritable christianisme, et beaucoup
d'excellents pretres, tres-orthodoxes, souffrent de voir leurs
paroissiens materialiser a ce point l'effet des benedictions de
l'Eglise. J'en causais, il y a quelques annees, avec un cure meridional
qui ne se plaisait pas autant que moi a retrouver et a ressaisir dans
les coutumes religieuses de notre epoque les traces mal effacees des
religions antiques. "Quand j'entrai dans ma premiere cure, me disait-il,
je vis le sacristain tirer d'un bahut de petits monstres fort
indecents, en bois grossierement equarri, qu'il pretendait me faire
benir. C'etait l'ouvrage d'un charron de la paroisse, qui les avait
fabriques a l'instar d'anciens pretendus bons saints reputes souverains
pour toute sorte de maux physiques. Ces modeles avaient ete certainement
des figures de demons du moyen age, qui eux-memes n'etaient que le
souvenir traditionnel des dieux obscenes du paganisme. Mon predecesseur
avait eu le courage de les jeter dans le feu de sa cuisine; mais, depuis
ce moment, une maladie endemique avait decime la commune, et, sans nul
doute, selon mes ouailles credules, la destruction des idoles etait la
cause du fleau; aussi le charron s'etait-il fait fort d'en tailler de
tout pareils qui seraient aussi bons quand on les aurait benits et
promenes a la suite du saint sacrement. Je me refusai absolument a
commettre cette profanation, et, prenant les nouveaux saints, je fis
comme mon predecesseur, je les brulai; mais je faillis payer cette
hardiesse de ma vie: mes paroissiens s'ameuterent contre moi, et je fus
oblige de transiger. Je fis venir de nouveaux saints, des figures
quelconques, un peu moins laides et beaucoup plus honnetes, que je dus
benir et permettre d'honorer sous les noms des anciens protecteurs de la
paroisse; je vis bientot que le culte des paysans est completement
idolatrique, et que leur hommage ne s'adresse pas plus a l'Etre
spirituel dont les figures personnifient le souvenir, que leur croyance
n'a pour objet les celestes bienheureux. C'est a la figure meme, c'est a
la pierre ou au bois faconne qu'ils croient, c'est l'idole qu'ils
saluent et qu'ils prient. Mes nouveaux saints n'eurent jamais de credit
sur mon troupeau. Ils n'etaient pas _bons_, ils ne guerissaient pas. Je
ne pus jamais faire comprendre qu'auc
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