toutes les
provinces de France, le coup de minuit de la messe de Noel ouvre les
prodiges du sabbat, en meme temps qu'il annonce la commemoration de
l'ere divine. Le ciel pleut des bienfaits a cette heure sacree; aussi
l'enfer vaincu, voulant disputer encore au Sauveur la conquete de
l'humanite, vient-il s'offrir a elle pour lui donner les biens de la
terre, sans meme exiger en echange le sacrifice du salut eternel: c'est
une flatterie, une avance gratuite que Satan fait a l'homme. Le paysan
pense qu'il peut en profiter. Il est assez malin pour ne pas se laisser
prendre au piege; il se croit bien aussi ruse que le diable, et il ne se
trompe guere.
Dans notre vallee Noire, le _metayer fin_, c'est-a-dire savant dans la
cabale et dans l'art de faire prosperer le _bestiau_ par tous les moyens
naturels et surnaturels, s'enferme dans son etable au premier coup de la
messe; il allume sa lanterne, ferme toutes ses _huisseries_ avec le plus
grand soin, prepare certains charmes, que le _secret_ lui revele, et
reste la, _seul de chretien_, jusqu'a la fin de la messe.
Dans ma propre maison, a moi qui vous raconte ceci, la chose se passe
ainsi tous les ans, non pas sous nos yeux, mais au su de tout le monde,
et de l'aveu meme des metayers.
Je dis: Non pas sous nos yeux, car le charme est impossible si un regard
indiscret vient le troubler. Le metayer, plus defiant qu'il n'est
possible d'etre curieux, se barricade de maniere a ne pas laisser une
fente; et, d'ailleurs, si vous etes la quand il veut entrer dans
l'etable, il n'y entrera point; il ne fera pas sa conjuration, et gare
aux reproches et aux contestations s'il perd des bestiaux dans l'annee:
c'est vous qui lui aurez cause le dommage.
Quant a sa famille, a ses serviteurs, a ses amis et voisins, il n'y a
pas de risque qu'ils le genent dans ses operations mysterieuses. Tous
convaincus de l'utilite souveraine de la chose, ils n'ont garde d'y
apporter obstacle. Ils s'en vont bien vite a la messe, et ceux que leur
age ou la maladie retient a la maison ne se soucient nullement d'etre
inities aux terribles emotions de l'operation. Ils se barricadent de
leur cote, frissonnant dans leur lit si quelque bruit etrange fait
hurler les chiens et mugir les troupeaux.
Que se passe-t-il donc alors entre le _metayer fin_ et le bon compere
_Georgeon_? Qui peut le dire? Ce n'est pas moi; mais bien des versions
circulent dans les veillees d'hiver, autour des tables ou l'on casse les
noix
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