ute de vivres_. La puissance des hobereaux s'en
allait piece a piece devant les idees et les besoins d'unite que
Richelieu avait semes, et que les orgies de la Fronde ne pouvaient
etouffer, comme leurs vieilles forteresses s'en allaient pierre a pierre
devant les ressources nouvelles de l'artillerie de campagne. Richelieu
avait decrete et commence la destruction de tous ces nids de vautours;
Louis XIV l'acheva.
Ce qui n'a pas du tout d'histoire, c'est le rivage agreste de cette
partie de la Creuse encaissee entre deux murailles de micaschiste et de
granit, depuis les rochers Martin jusqu'aux ruines de Chateaubrun. La
n'existe aucune voie de communication qui ait pu servir aux petites
annees des anciens seigneurs. Le torrent capricieux et tortueux, trop
herisse de rochers quand les eaux sont basses, trop impetueux quand
elles s'engouffrent dans leurs talus escarpes, n'a jamais ete navigable.
On peut donc s'y promener a l'abri de ces reflexions, tristes et
humiliantes pour la nature humaine, que font naitre la plupart des lieux
_a souvenirs_. Ces petits sentiers, tantot si charmants quand ils se
deroulent sur le sable fin du rivage ou parmi les grandes herbes
odorantes des prairies, tantot si rudes quand il faut les chercher de
roche en roche dans un chaos d'ecroulements pittoresques, n'ont ete
traces que par les petits pieds des troupeaux et de leurs _patours_.
C'est une Arcadie, dans toute la force du mot.
Si l'on suit la Creuse jusqu'a Croyent, ou elle est encore plus
encaissee et plus fortifiee par les rochers en aiguille, on en a pour
une journee de marche dans ce desert enchante. Une journee d'Arcadie au
coeur de la France, c'est tout ce que l'on peut demander au temps ou
nous vivons.
Mais, quand nous disons _ce desert_, c'est dans un sens que nous
devrions nous reprocher comme trop aristocratique, car ce pays est
frequente par une population de pecheurs, de meuniers et de gardeurs de
troupeaux. Mais c'est assez l'habitude des gens qui ont la pretention
d'appartenir a la civilisation, de se croire seuls quand ils n'ont
affaire qu'a des esprits rustiques, etrangers a leurs preoccupations.
Sans dedaigner en aucune facon ces etres naifs, et tres-souvent
excellents, on peut cependant dire avec quelque raison qu'ils font
partie de la nature vierge qui leur sert de cadre. Ils ont pour nous le
merite de ne rien deranger a son harmonie et de ne pas voir au dela de
ses etroits horizons. On n'a pas a craindre qu'ils ne
|