res et trop raisonnables
l'ont vue pour que j'ose dire qu'il n'y a aucune cause a leur vision.
Les chiens l'annoncent par des hurlements desesperes et s'enfuient des
qu'elle parait; cela est certain. Les chiens sont-ils hallucines aussi?
Pourquoi non? Sont-ce des voleurs qui s'introduisent sous ce
deguisement? Jamais la bete n'a rien derobe, que l'on sache. Sont-ce de
mauvais plaisants? On a tire tant de coups de fusil sur la bete, qu'on
aurait bien, par hasard, et en depit de la peur qui fait trembler la
main, reussi a tuer ou a blesser quelqu'un de ces pretendus fantomes.
Enfin, ce genre d'apparition, s'il n'est que le resultat de
l'hallucination, est eminemment contagieux. Pendant quinze ou vingt
nuits, les vingt ou trente habitants d'une metairie le voient et le
poursuivent; il passe a une autre petite colonie qui le voit absolument
de meme, et il fait le tour du pays, ayant produit cette contagion sur
un tres-grand nombre d'habitants.
Mais voici la plus effrayante des visions de la nuit. Autour des mares
stagnantes, dans les bruyeres comme au bord des fontaines ombragees dans
les chemins creux, sous les vieux saules comme dans la plaine nue, on
entend au milieu de la nuit le battoir precipite et le clapotement
furieux des lavandieres. Dans beaucoup de provinces, on croit qu'elles
evoquent la pluie et attirent l'orage, en faisant voler jusqu'aux nues,
avec leur battoir agile, l'eau des sources et des marecages. Chez nous,
c'est bien pire, elles battent et tordent quelque objet qui ressemble a
du linge, mais qui, vu de pres, n'est autre chose que des cadavres
d'enfants. Il faut se garder de les observer et de les deranger, car,
eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous
saisiraient, vous battraient et vous tordraient dans l'eau ni plus ni
moins qu'une paire de bas.
Nous avons entendu souvent le battoir des lavandieres fantastiques
resonner dans le silence de la nuit autour des mares desertes. C'est a
s'y tromper. C'est une espece de grenouille qui produit ce bruit
formidable. Mais c'est bien triste de faire cette puerile decouverte, et
de ne plus esperer l'apparition des terribles sorcieres tordant leurs
haillons immondes a la brume des nuits de novembre, aux premieres
clartes d'un croissant blafard reflete par les eaux. Un mien ami, homme
de plus d'esprit que de sens, je dois l'avouer, sujet a l'ivresse,
tres-brave cependant devant les choses reelles, mais facile a
impressionner par
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