et une charrue sans roues, la meme
dont on se servait du temps des Romains. On moissonne encore le ble a la
faucille, travail ecrasant pour l'homme et dispendieux pour le fermier.
Les prairies naturelles sont magnifiques, mais insuffisantes pour la
nourriture des bestiaux, et, par consequent, pour l'engrais de la terre.
Impossible de faire comprendre au cultivateur berrichon qu'un moindre
espace de terrain _emblede_ (comme il dit pour emblave) rapporterait le
triple et le quadruple s'il etait abondamment fume, et que le reste de
cette terre amaigrie et epuisee fut consacre a des prairies
artificielles. "Mettre du trefle et de la luzerne la ou le ble peut
pousser! vous repond-il; ah! ce serait trop dommage!" Il croit que Dieu
lui a donne cette bonne terre pour n'y semer jamais que du froment,
c'est pour lui le grain sacre; et y laisser pousser autre chose serait
une profanation dont le ciel le punirait en frappant son champ de
sterilite.
Le paysan de la vallee Noire est generalement trapu et ramasse jusqu'a
l'age de vingt ans. Il grandit tard et n'est completement developpe
qu'apres l'age ou la conscription s'empare de lui. Il se marie jeune, et
est repute vieux pour le mariage, tres-vieux a trente ans. Il est grand
et maigre quand il a atteint toute sa force, et reste maigre, droit et
fort jusque dans un age tres-avance. Il n'est pas rare de voir
travailler un homme de quatre-vingts ans, et a soixante ans un ouvrier
est plus fort et plus soutenu a la peine qu'un jeune homme. Ils ont peu
d'infirmites, et ne craignent que le passage du chaud au froid. C'est
ce qu'ils appellent la _sang-glacure_. Aussi redoutent-ils la
transpiration, et nul n'a droit de dire a un ouvrier d'aller plus vite
qu'il ne veut. Pourvu qu'il ne s'arrete pas, il a le droit d'aller
lentement. Personne ne peut exiger qu'il _s'echauffe_. "Voudriez-vous
donc me faire _echauffer_?" dirait-il. S'il _s'echauffait_, il en
pourrait mourir.
Il a raison. Nous autres coutumiers d'oisivete physique, nous avons un
grand besoin de mouvement accidentel, et la transpiration sauverait
l'homme des villes, dont le sang se glace dans le travail sedentaire. Le
paysan, habitue a braver l'ardeur du soleil, est affaibli, surmene,
brise, des qu'il transpire. C'est un etat exceptionnel auquel il faut se
garder de l'exposer. Il en resulte presque toujours pour lui fluxion de
poitrine ou rhumatisme aigu, et cette derniere maladie est chez lui
d'une obstination incroyable. E
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