emarquons d'abord que le depart de l'escadre ne fut signale par
aucune demonstration publique, et cependant il s'agissait de conquerir
un monde. Il y avait une raison a cette absence de publicite; on
ne voulait pas donner l'eveil aux Anglais ni aux Espagnols, et M.
d'Iberville avait recommande lui-meme d'expliquer son depart par
la necessite d'aller porter des renforts a l'Acadie et a la
Nouvelle-France.
L'expedition devait suivre la voie inauguree par Christophe Colomb
dans sa premiere traversee. Il fallait longer l'Afrique jusqu'aux iles
Canaries. La se trouvent ces vents alizes qui, vers le 23e degre de
latitude, soufflent avec force de l'est a l'ouest; ensuite l'on devait
remonter au nord pour trouver l'ile de Saint-Domingue, occupee en
partie par les Francais et ou l'on devait avoir un premier lieu de
ravitaillement.
Douze jours apres le depart de Brest, on etait au 28e degre en vue de
l'ile de Madere et celle de Porto Santo.
On suivit alors la direction des vents alizes, et l'on traversa cette
partie de la mer que l'on voit toute couverte d'herbes et de plantes
tropicales apportees par les courants marins qui vont de l'Amerique a
l'Afrique.
Le 19, on arriva au tropique du cancer, au 23e degre de latitude, et
M. de Surgere nous dit qu'il fallut subir la ceremonie du bapteme, qui
etait deja dans les traditions des hommes de mer.
C'etait le 20 novembre. Tous les matelots, dans les costumes les plus
grotesques qui representaient les divinites de la mer, s'adressaient a
ceux qui traversaient la ligne pour la premiere fois et les obligeaient
a passer par une immersion plus ou moins complete, que l'on appelait le
_bapteme du tropique_. Il suffisait d'une petite gratification pour en
etre dispense.
Au bout de quelques jours on s'apercut qu'on approchait de contrees
nouvelles; les regions tropicales. L'air etait plus doux, le ciel d'un
eclat ravissant. On y contemplait des nuances claires et profondes qui
semblaient reveler quelque chose de l'immensite du firmament. Les doux
zephirs qui repandaient leurs effluves rafraichissaient et apportaient
en meme temps l'odeur suave de plantes et de parfums inconnus aux
regions que l'on venait de quitter.
A ce signe, M. d'Iberville voyait l'approche des terres benies qu'il
recherchait. Les Canadiens, dont les sens si subtils n'avaient eprouve
jusque-la que les impressions apres du nord, saluerent l'annonce d'une
contree nouvelle, les douces visions du matin, les splen
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