e, de facon a ne pouvoir pas
etre vaincu, et je le sais, autant par la faute des circonstances que
par la mienne...
--Et de quoi es-tu coupable, pauvre cher?
--D'ignorance de la vie, de maladresse, de presomption, d'aveuglement.
Si j'avais ete moins naif, est-ce que je me serais laisse prendre aux
propositions de Jardine? Est-ce que j'aurais accepte ce mobilier, cet
appartement? Il me disait que les engagements qu'il me faisait signer
etaient de simples formalites, qu'en realite je le payerais quand je
pourrais, qu'il se contenterait d'un honnete interet: cela m'a paru
vraisemblable; je n'ai pas cherche au dela et j'ai accepte, heureux,
glorieux de m'installer... certain d'avoir les reins assez solides pour
porter ce fardeau. C'est une force d'avoir confiance en soi, mais c'est
aussi une faiblesse. Parce que tu m'aimes tu ne me connais pas, tu ne me
vois pas. En realite, je suis peu sociable, et je manque absolument de
souplesse, de finesse, de politesse, aussi bien dans le caractere
que dans les manieres: comment, avec cela, veux-tu qu'on fasse de la
clientele et qu'on reussisse si un coup d'eclat ne vous impose pas? Que
le coup d'eclat se produise, j'y compte bien; mais son heure n'a pas
encore sonne. Parce que je manque de souplesse, je n'ai pas su gagner la
sympathie ou l'interet de mes maitres; ils n'ont vu que ma raideur, et,
comme je n'allais pas a eux, plus encore par timidite que par fierte,
ils ne sont pas venus a moi,--ce qui est bien naturel, j'en conviens;
de plus comme je n'ai pas incline mes idees devant l'autorite de
quelques-uns, ceux-la m'ont pris en grippe, ce qui est plus naturel
encore. Parce que je manque de politesse et suis reste pour beaucoup de
choses l'Auvergnat lourd et gauche que la nature m'a fait, les gens du
monde m'ont dedaigne, s'en tenant a l'ecorce qu'ils voyaient et qui leur
deplaisait. Plus avise, plus malin, plus experimente, je me serais au
moins appuye sur la camaraderie; mais je n'en ai pas pris souci. A quoi
bon? je n'en avais pas besoin: ma force me suffisait; je trouvais plus
crane de me faire craindre que de me faire aimer. Ainsi bati, je n'avais
que deux partis a prendre: ou rester dans ma pauvre chambre de l'hotel
du Senat, en vivant de lecons et de besognes de librairie jusqu'au jour
du concours pour le bureau central et l'agregation; ou bien m'etablir
dans un quartier excentrique, a Belleville, Montrouge ou ailleurs, et
la faire de la clientele a la force du jarret av
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