libre entree, lui conseilla de faire forger des clefs semblables a celles
des portes de l'eglise, ou elle trouveroit moyen d'entrer par autre endroit
pour se rendre en certain lieu designe. Le chevalier fit accommoder deux
clefs, l'une servant ouvrir la porte du grand portail de l'eglise, l'autre
pour la petite porte d'icelle eglise. Et pour ce que le couvent des
nonnains estoit un peu loin de son village, il partit sur la minuict fort
obscure tout seul: et laissant son cheval en certain lieu seur, marcha vers
le couvent. Ayant fait ouverture de la premiere porte, il vid l'eglise
ouverte, et au dedans grande clairte de lampes et de cierges, et force gens
qui chantoyent et faisoyent le service pour un trespasse. Cela l'estonna:
neantmoins il s'approche, pour voir que c'estoit, et regardant de tous
costez, appercoit l'eglise pleine de moines et de prestres qui chantoyent
aussi a ces funerailles, ayans au milieu d'eux un aix en forme de tombeau
fort haut, couvert de noir, et a l'entour force cierges allumez en leurs
mains. Son estonnement redoubla quand entre tous ces chantres il n'en peut
remarquer pas un de sa cognoissance. Pourtant apres les avoir bien
contemplez, il s'approche de l'un des prestres, et lui demande pour qui
l'on faisoit ce service. Le prestre respond que c'estoit pour un chevalier,
designant le nom et surnom de celui qui parloit, adjoustant que ce
chevalier estoit mort et qu'on faisoit ses funerailles. Le chevalier se
prenant a rire respond: Ce chevalier que vous me nommez est en vie: par
ainsi vous vous abusez. Mais le prestre repliqua: Oui bien vous, car pour
certain il est mort, et est ici pour estre enseveli; quoy dit il se remit a
chanter. Le chevalier fort esbahi de ce devis, s'adresse a un autre et lui
fait la mesme demande. Ce deuxiesme fait mesme response, affermant vrai ce
que le premier avoit dit. Alors le chevalier tout estonne, sans attendre
davantage, sortit de l'eglise, remonte a cheval, et s'achemine vers sa
maison. Il est suivi et acompagne de deux grands chiens noirs qui ne
bougent de ses costez, et quoi qu'il les menacast de l'espee, ils ne
l'abandonnent point. Mettant pied a terre a la porte de son logis, et
entrant dedans, ses serviteurs le voyans tout change le prient instamment
de leur reciter son avanture: ce qu'il fait de poinct en poinct. On le
mesne en sa chambre, ou achevant de raconter ce qui estoit passe, les deux
chiens entrent, se ruent furieusement sur lui, l'estranglent et d
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