ur la bete et repondaient:
"Viens-y! tu seras bien recu! Il va te mettre les tripes au vent! Tu
n'oseras pas y aller!"
Et Barba Roja avancait toujours, s'efforcant de couvrir de sa voix
les clameurs de la multitude, ne perdant pas de vue son dangereux
adversaire, accelerant toujours son allure.
Quand le taureau vit l'homme a sa portee, il baissa brusquement la tete,
visa un inappreciable instant, et, dans une detente foudroyante de ses
jarrets d'acier, d'un bond prodigieux, il fut sur celui qui le narguait.
Contre toute attente, il n'y eut pas collision.
Le taureau, ayant manque le but, passa tete baissee a une allure
desordonnee. Le cavalier, qui avait dedaigne de frapper, poursuivit sa
route ventre a terre du cote oppose.
Barba Roja ne perdait pas de vue son adversaire. Quand il le vit
bondir, il obligea son cheval a obliquer a gauche. La manoeuvre etait
audacieuse. Pour la tenter, il fallait non seulement etre un ecuyer
consomme, doue d'un sang-froid remarquable, mais encore et surtout etre
absolument sur de sa monture. Il fallait, en outre, que cette monture
fut douee d'une souplesse et d'une vigueur peu communes. Accomplie avec
une precision admirable, elle eut un succes complet.
Si le taureau avait charge avec l'intention manifeste de tuer, il n'en
etait pas de meme du cavalier, qui ne visait qu'a enlever le flot de
rubans.
Effectivement, soit adresse reelle, confinant au prodige,
soit--plutot--chance extraordinaire, le colosse reussit pleinement
et, en s'eloignant a toute bride, dresse droit sur les etriers,
il brandissait fierement la lance, au bout de laquelle flottait
triomphalement le trophee de soie, dont la possession faisait de lui le
vainqueur de cette course.
Et la foule des spectateurs, electrisee par ce coup d'audace,
magistralement reussi, salua la victoire de l'homme par des vivats
joyeux, et c'etait toute justice, car ce coup etait extremement rare,
et, pour se risquer a l'essayer, il fallait etre doue d'un courage a
toute epreuve.
Mais Barba Roja avait a faire oublier la lecon que lui avait infligee le
chevalier de Pardaillan; il avait a se faire pardonner sa defaite et
a consolider son credit ebranle pres du roi. Il n'avait pas hesite a
s'exposer pour atteindre ce resultat, et son audace avait ete largement
recompensee par le succes d'abord, ensuite par le roi lui-meme, qui
daigna manifester sa satisfaction a voix haute.
Ayant conquis le flot de rubans, il pouvait, apres e
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