n avoir fait hommage
a la dame de son choix, se retirer de la lice. C'etait son droit. Mais,
grise par son succes, enorgueilli par la royale approbation, il voulut
faire plus et mieux, et, bien qu'il eut senti son bras faiblir lors de
son contact avec la bete, il resolut incontinent de pousser la lutte
jusqu'au bout et d'abattre son taureau.
C'etait d'une temerite folle. Tout ce qu'il venait d'accomplir pouvait
etre considere comme jeu d'enfant a cote de ce qu'il entreprenait. Ce
fut l'impression qu'eurent tous les spectateurs en voyant qu'il se
disposait a poursuivre la course.
En effet, comme on a pu le remarquer, le taureau avait commence par
foncer au hasard, par instinct combatif. Des la premiere passe, il avait
compris qu'il s'etait trompe. Chaque passe, denuee de succes, etait une
lecon pour lui.
Il ne perdait rien de sa force et de son courage indomptable, sa rage et
sa fureur restaient les memes, mais il acquerait la ruse qui lui avait
fait defaut jusque-la.
Le premier choc avait eu lieu non loin de la barriere, presque en
face de Pardaillan. C'est la que le taureau avait eprouve sa premiere
deception, la qu'il avait ete frappe par le fer de la lance, la qu'il
revenait toujours. Le deloger du refuge qu'il s'etait choisi devenait
terriblement dangereux.
Afin de permettre a leur maitre de parader un moment en promenant le
trophee conquis, les aides de Barba Roja s'efforcaient de detourner de
lui l'attention de l'animal.
Mais le taureau semblait avoir compris que, son veritable ennemi,
c'etait cette enorme masse de fer a quatre pattes, comme lui, qui
evoluait la-bas. C'etait de la qu'etait parti le coup qui l'avait
meurtri. C'etait cela qu'il voulait meurtrir a son tour.
Et, comme il se mefiait, maintenant, il ne bougeait pas du gite qu'il
s'etait choisi. Il dedaignait les appels, les feintes, les attaques
sournoises des hommes de Barba Roja. Parfois, comme agace, il se ruait
sur ceux qui le harcelaient de trop pres, mais il ne continuait pas la
poursuite et revenait invariablement a son endroit favori, comme s'il
eut voulu dire: c'est ici le champ de bataille que je choisis. C'est ici
qu'il faudra me tuer, ou que je te tuerai.
Barba Roja n'en voyait pas si long. Ayant suffisamment parade, il
s'affermit sur les etriers, assura sa lance dans son poing enorme et,
voyant que la bete refusait de quitter son refuge, il prit du champ et
fonca sur elle a toute vitesse.
Comme elle avait deja fait une
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