mecontents se trouvaient quelques-uns de ceux a qui elle avait eu la
prevenance de faire remettre des jetons de nacre.
Enfin la fete s'acheva, et le souper, bien que trainant un peu en
longueur, se termina aussi: les invites peu a peu se retirerent, au
moins ceux qui etaient venus avec leurs femmes.
Quand il ne resta plus que des hommes, on envahit la salle de baccara,
et, quoiqu'elle fut vaste, on s'y entassa si bien que ce fut a peine si
ceux qui s'etaient assis a la table purent remuer les coudes.
--Messieurs, faites votre jeu; le jeu est fait; rien ne va plus.
Le lendemain, les journaux racontaient cette fete, mais, ce qui valait
mieux, le bruit se repandait dans Paris, se colportait, se repetait
qu'il y avait une caisse serieuse au nouveau cercle et qu'elle s'ouvrait
facilement.
Le _Grand I_ etait fonde.
TROISIEME PARTIE
I
Le _Grand I_ n'etait ouvert que depuis quelques mois et deja Adeline
se demandait comment, pendant tant d'annees il avait pu vivre a Paris
ailleurs que dans un cercle.
Elles avaient ete si longues pour lui, si vides, si mortellement
ennuyeuses, les soirees qu'il passait a tourner dans son petit
appartement de la rue Tronchet, ou a se promener melancoliquement tout
seul autour de la Madeleine, allant du boulevard a la gare Saint-Lazare
et de la gare au boulevard en gagnant ainsi l'heure de se coucher! Que
de fois, en entendant les sifflets des locomotives, avait-il eu la
tentation de monter l'escalier de la ligne de Rouen et de s'asseoir dans
le wagon qui l'emmenerait jusqu'a Elbeuf! Il manquerait la seance du
lendemain, eh bien! tant pis, il se trouverait au moins, parmi les
siens; il embrasserait sa fille a son reveil; quelle joie dans la
vieille maison de l'impasse du Glayeul! La etaient la liberte, la
gaiete, le repos; Paris n'etait qu'une prison ou il faisait son temps,
et ce temps etait si dur, si morne, que, plus d'une fois, il avait pense
a se retirer de la politique pour vivre tranquille a Elbeuf, dans sa
famille, avec ses amis, pendant la semaine surveillant sa fabrique,
taillant ses rosiers du Thuit le dimanche, heureux, l'esprit occupe, le
coeur rempli, entoure, enveloppe d'affection et de tendresse, comme il
avait besoin de l'etre.
Mais du jour ou le _Grand I_ avait ete ouvert, cette existence monotone
du provincial perdu dans Paris avait change: plus de soirees vides, plus
de diners melancoliques en tete a tete avec son verre, plus de dejeuners
hates a
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