vous aviez quelques centaines de mille francs
derriere vous, pourriez-vous continuer et attendre la veine; mais vous
ne les avez pas. Ne risquez pas le peu qui vous reste, puisque, ce reste
perdu, vous seriez reduit a la misere. Vous, ce n'est rien: un homme se
tire toujours d'affaires. Mais les votres, votre femme, vos filles! Vous
ne vouliez pas que leur vie fut amoindrie; que sera-t-elle quand on
les mettra a la porte de l'hotel ou elles sont nees, et que, brise ou
affole, vous serez incapable de vous remettre au travail, pensez donc
que par votre fait elles peuvent mourir de faim, ou, ce qui est pire,
trainer une jeunesse de misere. Il en est temps encore, arretez-vous.
Vous serez genes, cela est certain, mais la gene n'est pas la honte,
n'est pas la misere; vous attendrez; des temps meilleurs reviendront.
Evidemment Combaz etait touche; a l'examiner, il etait facile de
comprendre que ce qu'Adeline disait, il se l'etait dit a lui-meme bien
des fois; mais par cette repetition, ces paroles avaient pris une force
que la conscience seule ne leur donnait pas.
Adeline essaya de profiter de l'avantage qu'il avait obtenu:
--Vous venez pour jouer?
--Je sens que je vais avoir une serie, c'est ce qui m'a decide une
derniere fois.
--Combien croyez-vous qu'on pretera?
--Rien.
--Alors?
--J'ai pu me procurer trois mille francs.
--Eh bien, ne les risquez pas; avec trois mille francs vous pouvez
faire vivre votre famille pendant plusieurs mois; rentrez chez vous et
remettez cet argent a votre femme, qui se desespere en ce moment, qui
pleure aupres de ses filles, en sachant que vous etes ici; la joie que
vous lui donnerez ce soir sera si grande, que si vous vouliez revenir
demain, son souvenir vous retiendra.
Ce mot qu'Adeline avait trouve dans son coeur de pere et de mari arracha
Combaz a ses hesitations.
Avec un elan d'epanchement, il lui prit la main et la serra longuement.
--Je rentre chez moi, dit-il.
--Eh bien, nous ferons route ensemble; j'ai justement affaire place
Malesherbes.
--Vous ne vous fiez pas a moi? dit Combaz en riant.
Adeline changea la conversation, car s'il etait vrai qu'il ne se fiat
point a cette bonne resolution d'un joueur, il trouvait imprudent
de laisser voir ses doutes; et jusqu'a la place Malesherbes ils
s'entretinrent de choses et d'autres amicalement, sans qu'une seule fois
il fut question de jeu.
--Vous voici a deux pas de chez vous, dit Adeline en arrivant a la
pl
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