vecu
sous le poids ecrasant d'une obsession qui ne le lachait ni jour ni
nuit: il se voyait devant le tribunal oblige de repondre comme
temoin aux questions du president, et d'ecouter la tete basse ses
admonestations; que de demandes mortifiantes pour son caractere,
blessantes pour son honneur ne lui adresserait-on point?
Et tout en entendant les questions severes ou bienveillantes du
president, tout en voyant son sourire narquois ou dedaigneux, il se
repetait les paroles du pere Eck:
"Laissez ces gens-la a leurs plaisirs; ce n'est pas seulement pour la
fortune que la famille est bonne."
Alors, dans cette agitation tumultueuse, il avait fait un voeu comme le
marin au milieu de la tempete: s'il echappait au danger qui le menacait,
il renoncerait a cette existence si peu faite pour lui, et, suivant
le conseil du pere Eck, il laisserait ces gens a leurs plaisirs, qui
n'etaient pas du tout les siens.
Jamais il n'avait fait son examen de conscience avec cette anxiete et
cette intensite de pensee: que lui avait-elle donne, cette existence
qu'il n'avait acceptee qu'en vue de resultats que l'imagination lui
montrait si superbes et que la realite s'obstinait a tenir aussi
eloignes qu'au premier jour? Quelles affaires bonnes pour ses interets
personnels lui avait apportees cette presidence qui devait lui creer
tant de relations utiles? Aucune. Si, laissant de cote son interet
personnel, il ne prenait souci que de l'interet general, il etait bien
force de s'avouer aussi que cette fondation de son cercle, qui devait
concourir au developpement de la vie brillante a Paris, avait tout
simplement concouru au developpement du jeu: ou etaient-ils, les
commercants que le cercle avait enrichis? Il ne les voyait pas; tandis
qu'il ne voyait que trop bien ceux qu'il avait appauvris ou ruines--lui
tout le premier. Car le plus clair de cette miserable aventure, c'etait
sa dette a la caisse du cercle, les soixante mille francs qui, a cette
heure, en formaient le chiffre.
Cependant, malgre cette dette, il fallait qu'il accomplit son voeu, et
qu'en donnant sa demission il reprit sa liberte, sa dignite. Il n'y
avait pas a hesiter, pas a balancer; le repos, l'honneur peut-etre
etaient a ce prix. Ce qu'il avait vu pendant ces quelques jours, ce
qu'il avait appris l'epouvantait. Eh quoi, c'etaient la les moeurs de ce
monde, le vol, partout le vol, en haut comme en bas, pas une main nette;
et toutes ces hontes, il les couvrait de son nom: "A
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