nt causer librement.
--Tu m'as fait grand plaisir en venant au-devant de moi, dit Adeline.
--Je voulais te voir... et puis, je voulais te parler.
--Qu'est-ce qu'il y a?
Il se tourna vers elle pour la regarder: le visage souriant et heureux
qu'il venait de voir s'etait rembruni et attriste.
--J'ai peur, dit-elle.
--Michel?
--Ce n'est pas Michel qui me fait peur; il est plus aimable, plus tendre
que jamais; c'est M. Eck, c'est madame Eck, la grand'maman.
--Que se passe-t-il?
--Je ne sais pas: Michel, qui me disait que sa grand'mere s'adoucissait
et qu'elle semblait disposee a consentir a notre mariage, m'a prevenu
hier en deux mots, les seuls que nous ayons pu echanger, qu'il y avait
un revirement et que madame Eck paraissait fachee contre lui et contre
moi.
Adeline aussi eut peur: savait-on deja quelque chose a Elbeuf? En se
perdant, avait-il perdu sa fille avec lui?
Berthe continuait:
--Je n'imagine pas du tout en quoi j'ai pu blesser madame Eck et par la
changer ses dispositions a mon egard; quant a Michel, il n'a rien fait
qui puisse deplaire a sa grand'mere, cela est bien certain.
--Sans doute, ce n'est ni contre toi ni contre son petit-fils qu'elle
est fachee.
--Contre qui l'est-elle alors?
--Contre moi.
--Pourquoi le serait-elle contre toi.
Pourquoi le serait-elle? Il ne pouvait pas repondre a cette question; il
n'osait meme pas l'examiner.
--A cause de notre situation embarrassee.
--J'ai bien pense a cela, et j'ai questionne maman, qui m'a dit que
les affaires seraient meilleures cette annee qu'elles ne l'avaient ete
l'annee derniere. Madame Eck doit le savoir.
--Peut-etre ne le sait-elle pas.
--Sois tranquille de ce cote, Michel l'en aura avertie.
--Alors, que veux-tu que je te dise?
--Rien; c'est moi qui t'explique ce qui se passe.
Il voulut la rassurer et aussi se rassurer lui-meme.
--Peut-etre ta grand'mere aura-t-elle dit quelque chose qui aura ete
rapporte a madame Eck.
-Je ne crois pas: pour grand'maman, je suis comme si j'etais morte ou
encore au maillot; je n'existe plus; elle ne parle jamais de moi.
Ce qu'elle disait la, Adeline le savait comme elle; il fallait donc
renoncer a cette explication.
Ils arrivaient au bout du pont, et devant eux, sur l'autre rive, se
montrait Elbeuf avec sa confusion de maisons et de hautes cheminees qui
vomissaient des nuages de fumee noire que le vent d'est chassait vers la
foret de la Lande ou ils se dechira
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