rs mois de presidence, quand il voyait tout
en beau et se demandait comment il avait pu, jusqu'a ce jour, vivre
ailleurs que dans un cercle.
Ce fut seulement quand le jeu commenca qu'il devint nerveux et
impatient.
--Vous n'en taillez pas une ce soir, mon president?
Chaque fois qu'on lui adressait cette question, d'un ton engageant
et avec sympathie, il s'exasperait. C'etait deja bien assez pour lui
d'entendre la musique du jeu: le bruit des jetons, le flic-flac des
cartes, le murmure etouffe des joueurs, que dominait de temps en temps
l'eternel: "Le jeu est fait. Rien ne va plus?", sans qu'on vint encore
le tenter et le pousser.
Jamais il n'etait venu a son cercle avec 50,000 fr., dans ses poches,
et, a chaque mouvement qu'il faisait, il eprouvait un singulier
sentiment qu'il ne s'expliquait pas bien, en frolant la grosseur
produite par ces liasses. Combien d'autres a sa place n'auraient pas pu
resister a la tentation de tater la chance, car tout joueur sait que ce
n'est pas du tout la meme chose d'operer avec une petite mise qu'avec
une grosse; avec une petite, etrangle dans ses mouvements, on est a peu
pres sur de la perdre; au contraire, avec une grosse qui vous donne
toute liberte de manoeuvrer, on est a peu pres certain de gagner; c'est
une affaire de tactique.
--Comment, mon president, vous n'en taillez pas une ce soir?
Il semblait qu'on se fut donne le mot pour le pousser.
Non, certes, il n'en taillerait pas une; il le repondait nettement.
Et cependant?
S'il est vrai que la fortune sourit presque toujours a ceux qui jouent
pour la premiere fois, n'est-ce pas vrai egalement pour ceux qui
jouent leur derniere partie? C'est quand on la tracasse et on l'obsede
continuellement qu'elle vous abandonne a la deveine.
Et cette partie, s'il la jouait, ce serait bien certainement la
derniere.
Mais quand ces pensees traversaient son esprit, il les rejetait loin de
lui, en se disant que ce sont les sophismes ordinaires aux joueurs, qui
pendant trente ans, cinquante ans, jouent aujourd'hui leur derniere
partie qu'ils recommenceront le lendemain... mais qui, cette fois, sera
bien decidement la derniere.
Pourtant, il y avait un point qui le troublait: c'etait la mort de son
client de la rue des Deux-Ecus; pourquoi le pere Huet etait-il mort
juste au moment de le payer et de parfaire les soixante mille francs
dus a la caisse? N'y avait-il pas la quelque chose de providentiel; une
impossibilite qui etai
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