V
Avant de quitter Paris, il envoya une depeche a sa femme.
"Je rentre a Elbeuf; partez pour le Thuit; invite Michel a passer la
journee de demain avec nous."
Telles qu'etaient les habitudes de la maison, une depeche de ce genre
voulait dire qu'apres la paye, la famille montait dans la vieille
caleche et s'en allait au Thuit; pour lui, il trouvait la charrette a
la gare, a l'arrivee du train de Paris, et rejoignait les siens; par
ce moyen, la Maman ne se couchait pas trop tard, et le lendemain on
s'eveillait au chant des oiseaux, avec de la verdure devant les yeux, en
pleine campagne, ce qui etait plus gai que l'impasse du Glayeul ou, s'il
y avait eu des glaieuls autrefois, ainsi que le nom l'indiquait, on n'y
trouvait plus depuis longtemps, en fait de couleurs gaies, que celles de
l'indigo, et en fait de parfums que sa senteur douceatre.
Les choses s'executerent comme il l'avait demande: a sept heures, la
Maman, madame Adeline, Berthe et Leonie partirent pour le Thuit, et
quand il descendit a neuf heures et demie a la gare, il trouva la
charrette qui l'attendait: une heure apres il arrivait au Thuit, et a
la lueur d'une lanterne il voyait sa femme, sa fille et sa niece venir
au-devant de lui.
--Quelle bonne surprise! dit madame Adeline.
--Il n'y aura pas seance lundi; j'ai pu revenir, dit-il pour expliquer
ce retour sans que sa femme s'en etonnat.
--Comme tu es gentil d'avoir pense a inviter Michel pour demain! dit
Berthe en se serrant contre lui.
--Tu es contente?
--Oh! cher papa!
--Eh bien, moi, je suis heureux de te voir heureuse.
--Si elle est contente? dit Leonie qui tenait a placer son mot, elle a
saute de joie quand ma tante a lu ta depeche.
--Veux-tu bien te taire, petite peste! s'ecria Berthe.
Comme a l'ordinaire, on lui avait servi un souper froid dans la salle a
manger ou le feu avait ete allume, bien qu'on fut deja en avril, mais il
ne voulut pas se mettre a table: il avait dine avant de quitter Paris;
au moins le dit-il.
Quand il arrivait au Thuit a cette heure, il n'entrait jamais dans la
chambre de sa mere, car la Maman s'endormait aussitot qu'elle se mettait
au lit, et il l'eut reveillee; c'etait le lendemain seulement qu'il
allait lui dire un bonjour matinal.
Il en fut ce soir-la comme il en etait toujours, et le lendemain matin,
quand tout le monde dormait encore dans le chateau, il frappa a la porte
de la chambre que sa mere occupait au rez-de-chaussee. Justement
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