pour
elle au moins sa tache etait accomplie.
Leonie avait passe sa matinee a cueillir des fleurs et la table en etait
couverte, mais ces fleurs, pas plus que les sourires de sa fille, la
joie de Michel, le bonheur de sa femme ne pouvaient soutenir Adeline,
qui a chaque instant restait immobile a regarder les minutes fuir sur le
cadran de la pendule; alors la Maman se disait:
--Le bonheur meme de sa fille ne peut pas l'arracher a la pensee de sa
maladie.
Et pour essayer de le distraire, elle racontait des histoires de
jeunesse, de mariage; elle se faisait aimable avec Michel.
Dans les sauts de la conversation, Michel demanda a Adeline ce que
c'etait un journal appele l'_Honnete Homme_.
--Mon oncle, mes cousins et moi, nous en avons recu chacun un
exemplaire; il annonce une etude sur les cercles, avec des portraits
que chacun reconnaitra; vous me mettrez les noms sous ces portraits,
n'est-ce pas?
Adeline avait pali, et, en sentant les yeux de sa femme poses sur lui,
il n'avait pas tout de suite trouve une reponse.
--Je pense que c'est un journal de scandale et de chantage, dit-il
enfin, et je ne crois pas que ses portraits aient de l'interet.
Michel n'insista pas: au fait, que lui importait l'_Honnete Homme_? il
n'en avait parle que par hasard.
Apres le dejeuner, Adeline voulut montrer les batiments de la ferme a
Michel, et, en causant d'un air indifferent, il demanda au fermier s'il
avait toujours a se plaindre des lapins:
--Les lapins! n'en parlez pas, monsieur Adeline, ils me mangent tout mon
_cossard_; si on ne les panneaute pas, ils n'en laisseront pas.
--Eh bien, vous les panneauterez la semaine prochaine; aujourd'hui je
vais vous en tuer quelques-uns a coup de fusil.
--Oh! papa, dit Berthe.
--Pendant que vous vous promenerez; vous me prendrez au retour.
Il alla chercher son fusil, et tandis que la Maman, madame Adeline et
Leonie restaient au chateau, il prit avec Berthe et Michel le chemin du
parc.
Ils ne tarderent pas a arriver a la piece de colza ou de _cossard_,
comme disait le fermier.
--Je reste la, dit-il, promenez-vous et n'ayez pas peur des coups de
fusil.
Comme ils allaient s'eloigner, il rappela Berthe:
--Embrasse-moi donc, dit-il.
Le lendemain, les journaux de Rouen annoncaient en termes emus et
respectueux la mort de M. Constant Adeline, l'eminent depute de la
Seine-Inferieure, le grand industriel elbeuvien: en chassant les lapins
dans son parc, il avait
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