e; je n'ai que des remerciements a vous renouveler pour
l'autorisation que vous m'avez accordee avec tant de bonne grace.
Puis tout de suite il entama une apologie des cercles bien tenus et
severement surveilles, qui n'etait a peu de chose pres que la repetition
de ce que Frederic lui avait dit et repete plus de cinquante fois, sur
tous les tons et avec toutes sortes de variantes, c'est-a-dire que si
les tricheries sont jusqu'a un certain point possibles dans un cercle
ferme, ou, par cela meme que tous les membres ne font en quelque sorte
qu'une meme famille, personne ne surveille son voisin, il n'en est pas
de meme dans les cercles ouverts, ou, au contraire, la defiance et la
surveillance sont la regle ordinaire, comme si on etait dans une reunion
de voleurs connus.
Mais le prefet l'interrompit en riant:
--Laissez-moi vous dire que les cercles fermes ne m'inspirent pas plus
une confiance absolue que les cercles ouverts, attendu que partout ou
l'on joue on peut tricher, dans le cercle le plus eleve quelquefois,
comme dans le _claquedents_ souvent, qu'on ait cent mille francs de
rente, ou qu'on creve de faim. Je sais bien que lorsqu'on interroge un
gerant de cercle ouvert sur les tricheries, il vous repond que par suite
de sa surveillance elles sont si difficiles chez lui, qu'elles sont
absolument impossibles; s'il s'en commet, c'est chez son voisin. Il
est vrai que lorsqu'on passe a ce voisin, il nous dit qu'il a si bien
decourage les philosophes qu'ils n'en parait jamais un seul chez lui,
tandis qu'ils vont tous a cote, ou il se passe des choses abominables,
et l'on est tout etonne, la premiere fois, de voir que le recit de ces
choses abominables est le meme dans les deux bouches; ce qui se fait ici
se fait la, et ce qui se fait la se fait ici. C'est par ce simple role
de confident, aux oreilles complaisantes que j'ai appris, quand j'etais
jeune, les procedes de cette aimable philosophie qui enseigne l'art de
s'approprier le bien d'autrui; et c'est pour cela que je resiste tant
que je peux aux demandes qu'on m'adresse afin d'ouvrir de nouveaux
cercles.
--Croyez-vous qu'on vole maintenant autant qu'il y a quelques annees,
quand le jeu etait peu connu? demanda Adeline persistant dans les idees
qu'il avait recues.
--Autant, oui, et meme davantage; seulement les procedes se sont
perfectionnes, ils sont moins gros et par la plus difficiles a
decouvrir; parce que de nos jours on vole peu a main armee, s'ensuit-il
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