es imbeciles et dont les grecs sont
affranchis.
--Et vous vous imaginez qu'il se laissera affranchir? avait repondu
Raphaelle qui, mieux que Barthelasse, connaissait la nature de son
president.
Mon Dieu, oui, il se l'imaginait, et il n'imaginait meme pas qu'il en
put etre autrement. De quoi s'agissait-il? De gagner a coup sur et sans
danger, en operant soi-meme, sans complice, avec une securite egale a
celle de l'acrobate sur la corde raide, qui a appris a travailler. Alors
pourquoi refuserait-il? Barthelasse ne le voyait pas, attendu qu'il
n'y a rien de plus doux et de plus agreable que l'argent gagne par le
travail.
Mais Raphaelle et Frederic, qui, sans etre au fond beaucoup plus
embarrasses de prejuges que Barthelasse, ne croyaient pas que tout le
monde en fut arrive comme eux a envisager la vie avec cette philosophie
pratique qui enseigne a ne voir que l'argent gagne sans se soucier de la
facon dont on le gagne, etaient certains du refus d'Adeline et meme de
son indignation, si on lui proposait tout simplement de lui apprendre a
travailler pour jouer a coup sur. Ce n'etait point ainsi qu'il fallait
proceder avec celui que d'un air de mepris ils appelaient "_Puchotier_"
depuis qu'Adeline, se defendant un jour de ses ignorances parisiennes,
s'etait lui-meme donne ce nom en disant qu'a Elbeuf les _Puchotiers_
sont les encroutes de la ville, ceux qui repoussent tout progres en ne
jurant que par leur vieux Puchot. Quelle chance de se faire ecouter si
on lui parlait franchement?
Il fallait vraiment etre _Puchotier_ pour avoir la naivete de croire
qu'avec des cotisations de cent francs et les produits d'une honnete
cagnotte on pouvait payer quatre-vingt mille francs de loyer,
d'assurances, vingt mille francs d'impots, vingt-cinq mille francs
d'eclairage et de chauffage, soixante mille francs de gages au
personnel, trente-six mille francs de traitement au president, trente
mille francs pour perte sur la table et tous les autres frais pour
abonnements aux journaux, impressions, concerts, fetes, c'est-a-dire
d'une depense annuelle de plus de trois cent mille francs. Pour couvrir
ces depenses et pour donner un benefice suffisant a ceux qui avaient
fonde l'affaire, gerant, tapissiers, marchands de vin, fournisseurs de
comestibles, croupiers, bailleurs de fonds, protecteurs plus ou moins
influents ou, comme on dit dans ce monde, _mangeurs_, qui se font payer
leur protection en un tant pour cent, il fallait que la partie
|